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L’Enlèvement au sérail à l’Opéra royal de Versailles – Un harem bien de chez nous – Compte-rendu

 
Donner Die Entführung aus dem Serail en français, voilà une idée qui n’a rien d’aberrant. Avec ses dialogues parlés, l’œuvre pose les mêmes problèmes que La Flûte enchantée : la VF permet au public un contact plus immédiat avec l’intrigue et les personnages, au lieu de passer une bonne partie de la représentation le cou tordu pour déchiffrer les surtitres, et l’habitude de présenter les opéras en langue vernaculaire – à condition que cela ne se fasse pas à l’exclusion de la version originale – compte des défenseurs dans divers pays. En l’occurrence, la traduction de Pierre-Louis Moline publiée en 1799 – « L’Enlèvement du sérail, imité de l’allemand » – semble tout à fait chantable et modifier la lettre pour mieux respecter l’esprit du texte de Stephanie. On ne déplore que quelques accents mal placés (« Que veux-tu ? » d’Osmin), et des rimes pas toujours très inspirées (« ombre/sombre »), mais rien de pire que le tout-venant des livrets de l’époque. A noter : ce n’est pas cette traduction qui servit au XXe siècle lorsque des artistes francophones comme Lily Pons enregistrèrent des extraits de l’œuvre.

L’entreprise est d’autant plus possible qu’il existe à nouveau des chanteurs capables de porter cette version, autrement dit des artistes qui s’expriment dans leur langue maternelle et qui sont capables de faire comprendre le texte qu’ils interprètent, luxe dont nul n’aurait osé imaginer il n’y a pas si longtemps. Avec l’aide de la Belgique et du Canada, la France peut maintenant réunir les cinq chanteurs mozartiens qu’appelle L’Enlèvement au sérail. Pour Pedrillo, cela n’a jamais été vraiment un problème : des ténors de caractère, nous en avons toujours eu, mais Enguerrand de Hys apporte au rôle toute la malice virevoltante dont il est capable. Pour Blonde, dont les exigences sont un peu supérieures, c’est presque la même chose : des sopranos coloratures, nous en avons toujours eu, mais Gwendoline Blondeel montre en outre qu’elle a les réserves dans le grave que suppose son duo avec Osmin.
 

© Pascal le Mée

Par chance, nous avons aussi à présent quelques ténors mozartiens, ils se reconnaîtront, mais Mathias Vidal s’ajoute à leur cohorte avec une prise de rôle remarquable : son Belmont n’a rien de froid ou de guindé, loin de là, et il prête au personnage toute la ferveur qu’on lui connaît, tout en vocalisant sans effort. Florie Valiquette confirme son adéquation à un rôle qu’elle chantait déjà en concert au Théâtre des Champs-Elysées en décembre dernier : sa Constance n’est pas une Blonde montée en graine comme c’est hélas parfois le cas, la soprano québécoise combinant désormais la largeur de timbre et la virtuosité indispensables, et éblouit dans « J’ai su te déplaire » (« Martern aller Arten »). Mais le plus extraordinaire, c’est sans doute l’Osmin de Nicolas Brooymans : enfin une authentique basse, qui possède les notes mais aussi les couleurs voulues, et à qui l’on rêve que soient très vite confiés tous les grands rôles du répertoire français !
 

© Pascal le Mée

Bien française, aussi, cette habitude de réduire L’Enlèvement à une farce, là où tant de productions depuis quelques décennies mettent en avant les enjeux rattachant l’œuvre à l’esprit des Lumières. Michel Fau ne pouvait pas se priver du rôle parlé de Selim, mais loin des acteurs qui faisaient valoir la séduction du Bacha, il le tire vers le théâtre de boulevard, habillé en Grand Moghol d’opérette, même s’il lui accorde une belle apothéose finale. Sa mise en scène joue avant tout la carte de l’orientalisme, dans les décors évocateurs d’Antoine Fontaine et les costumes colorés de David Belugou. Dans la fosse, Gaétan Jarry conduit l’ouverture sur les chapeaux de roue, mais l’Orchestre de l’Opéra royal relève le défi, tout comme le Chœur de l’Opéra royal, qui reprendra en bis son ultime intervention, « Au Bacha rendons hommage / Et célébrons sa bonté / Que sa vertu d’âge en âge / Passe à la postérité ».

Laurent Bury
 

 
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Mozart : L’Enlèvement au sérail (en français) : Versailles, Opéra royal, 26 mai 2024
Photo © Pascal le Mée

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