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Les 80 ans de Péter Eötvös à la Maison de la Radio et de la Musique – Facéties chorales - Compte-rendu

 

Célébré la semaine précédente par l’Ensemble intercontemporain (1), dont il fut l’un des premiers directeurs musicaux, Péter Eötvös était de nouveau à l’honneur à l’occasion de son 80anniversaire, cette fois à la Maison de la Radio et de la Musique, pour un concert monographique comptant pas moins de deux créations mondiales et une première audition en France.
 

Maîtrise de Radio France, dir. Sofi Jeannin © Christophe Abramowitz / Radio France

L’œuvre lyrique du compositeur hongrois l’a vu souvent s’emparer de sujets sérieux sinon franchement sombres : Trois sœurs, Le Balcon, Angels in America ou Senza sangue en sont de bons exemples parmi les treize opéras créés à ce jour. Ce soir, sa musique se fait bien plus facétieuse avec, en ouverture, Treize haïkus écrits exprès pour la Maîtrise de Radio France. Les jeunes élèves de la Maîtrise entrent sur scène dans un joyeux tumulte (composé) de rires d’enfants. Rien que dans ce geste, le compositeur montre sa science du théâtre musical : ces rires ad libitum soutenus par la cheffe Sofi Jeannin (photo) donnent d’emblée l’illusion du naturel et tourne la première page de ces « histoires naturelles » puisées aux haïkus des maîtres classiques Chora, Issa, Onitsura ou Bashō. Usant d’une vaste palette de modes de chants, mais privilégiant répétitions et variations, Péter Eötvös mêle les haïkus dans un tourbillon très vif – avec quelques effets théâtraux naïfs mais très à propos – où affleure cependant une lancinante mélancolie, quand vient le tour du moineau, au plein milieu de l’œuvre : « Viens jouer avec moi / moineau / orphelin » ou, quand, à la toute fin, s’éteint le chant des grenouilles, rendu à une simple déclamation : « Au printemps / Les grenouilles chantent / en été elles aboient ».
Suivait une page de jeunesse, Solitude, composée à 12 ans et reprise par le compositeur cinquante ans plus tard. L’influence du folklore est bien présente dans cette courte pièce de 3 minutes dédiée à Zoltán Kodály, mais le jeune Eötvös montre déjà un sens théâtral impressionnant, bien souligné par les équilibres trouvés par Sofi Jeannin, entre notes tenues et motifs sculptés par les rythmes.
 

Lambert Wilson, Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France © Christophe Abramowitz / Radio France

 
Changement d’effectif avec Hallelujah-Oratorium balbulum, pour narrateur, solistes, chœur et grand orchestre de 2015. Partition trouble pour temps troublés, elle est à la fois une apothéose de la musique, gorgée de citations, et sa mise à distance à travers le texte grinçant de Péter Esterházy, qui convient parfaitement à la lecture pince-sans-rire de Lambert Wilson. Durant une heure, les fragments d’un oratorio « balbutiant » s’enchaînent, ponctués d’« Hallelujah » empruntés à Haendel, Bach, Monteverdi ou Moussorgski entonnés par un Chœur de Radio France chauffé à blanc (préparation exemplaire de Lionel Sow). L’œuvre peut irriter par son mélange de dispersion et d’immobilité narrative, de prosaïque et de merveilleux, et les parties solistes finissent par lasser, malgré toute la bonne volonté de Katharina Kammerloher (l’Ange) et Artavazd Sargsyan (le Prophète bègue). Mais la musique recèle aussi une multitude de moments où éclate la beauté et la richesse de l’écriture de Péter Eötvös. Confronté à ce jeu d’équilibres impossibles entre le lourd et le subtil, Gergely Madaras répond avec une maîtrise impressionnante. Proche du compositeur, l’actuel chef de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, montre sa compréhension de l’écriture labyrinthique de Péter Eötvös et conduit le Chœur et l’Orchestre philharmonique de Radio France avec beaucoup d’assurance et une science infaillible de la nuance et de la clarté.

 

Gergely Madaras et Xavier de Maistre © Christophe Abramowitz / Radio France

 
Auparavant, Gergely Madaras avait dirigé la création du Concerto pour harpe écrit sur mesure pour son dédicataire Xavier de Maistre, qui l’emmènera cette saison à Berlin, Genève, Porto, Tokyo et Vienne. Œuvre démonstrative autant que narrative, à la manière des récents (et nombreux) concertos composés par le musicien hongrois, elle n’a peut-être pas la force d’invention du Cello Concerto Grosso, de Speaking Drums ou de DoRéMi (tous trois enregistrés il y a dix ans avec l’Orchestre philharmonique de Radio France). Il s’agit plutôt d’une série de réflexions variées portées par l’orchestre sur le jeu virtuose du soliste. Comme dans l’Oratorium balbulum, la partition offre de magnifiques – et même magiques – moments d’orchestre, telle cette très bartokienne introduction du second mouvement. Elle est aussi une autre occasion d’admirer l’art du chef Gergely Madaras, que l’on a hâte de retrouver à la tête des orchestres parisiens.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 

 
Paris, Maison de la Radio et de la Musique, 18 janvier 2024
 
(1) www.concertclassic.com/article/lensemble-intercontemporain-celebre-les-80-ans-de-peter-eotvos-les-aventures-du-son-compte

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