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Les Archives du Siècle Romantique (38) – Maître Péronilla d’Offenbach et la mode espagnole à Paris
La célébration du bicentenaire de la naissance d’Offenbach l’an dernier aura été prétexte pour le Palazzetto Bru Zane à l’exploration d’aspects méconnus de la production du « petit Mozart des Champs-Elysées », tant en concert qu’au disque. Il n’est plus besoin de dire la réussite parfaite du récital d’airs de colorature de Jodie Devos, sous la magnifique baguette de Laurent Campellone à la tête de l’Orchestre de la Radio de Munich (1 CD Alpha), un album déjà largement acclamé tant en France qu’à l’étranger.
On attendait avec impatience l’enregistrement de Maître Péronilla réalisé en amont de la version de concert donnée 1er juin 2019 au théâtre des Champs-Elysées en ouverture du 7e Festival PBZ à Paris.(1) De 1878, l’ouvrage a disparu de l’affiche, ce qui se comprend aisément, non à cause de sa musique, excellente, mais du fait de l’extrême lourdeur de son effectif : 16 chanteurs. Avec Véronique Gens, Eric Huchet, Antoinette Dennefeld, Anaïs Constans et Tassis Christoyannis en tête de distribution, le Palazzetto a mis tous les atouts du côté de Maître Péronilla, la baguette de Markus Poschner, à la tête de l’Orchestre National de France, portant cette résurrection avec une conviction et un enthousiasme admirables. La réunion d’une telle équipe imposait la réalisation d’un enregistrement, que l’on découvre à présent dans la belle collection « Opéra Français » du PBZ, avec même enthousiasme que l’on avait accueilli la soirée du théâtre de Champs-Elysées. Une croustillante histoire de bigamie à l’espagnole mettant en scène Manoëla, fille de Maître Péronilla, ancien avocat devenu le plus réputé des chocolatiers de Madrid. Ceux qui ont aimé l’ouvrage en concert prolongeront le plaisir avec une parution qui fera tout autant le bonheur des mélomanes qui n’avaient pu se rendre à la soirée inaugurale du 7e Festival.
Eric Huchet © DR
La découverte de raretés offenbachiennes n’est d’ailleurs pas terminée pour le Palazzetto puisque, les 28 et 29 février, 1er, 3, 4 et 5 mars prochains, la série des Bouffes de Marigny présentera Lischen & Fritzchen, « Conversation alsacienne » en un acte créée en 1863, parallèlement à Un mari dans la serrure (1876) du méconnu Frédéric Wachs (1824-1896). Deux ouvrages en un acte à deux personnages, confiés à Adriana Bignagni Lesca et Damien Bigourdan, à savourer dans une mise en scène signée Romain Gilbert. (2)
Pour l’heure, restons sur la couleur espagnole avec le nouvel épisode des Archives du Siècle Romantique. Au cours de l’été 1878, quelques mois après la création de Maître Péronilla aux Bouffes-Parisiens, l’Espagne s’invite sur les scènes musicales parisiennes. Attiré par l’exposition universelle, l’orchestre de MM. Rovira et Mas se fait successivement entendre à la salle Ventadour, au nouveau Palais du Trocadéro, puis à Enghien, chez le directeur du Figaro, avant de se rendre en Angleterre. Comme dans l’opéra-bouffe d’Offenbach, le clou du spectacle s’intitule la Malaguena. Les chroniqueurs de L'Univers illustré, de La Liberté et du Figaro s'en font l'écho.
Alain Cochard
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L’Univers illustré, 29 juin 1878
Lundi dernier nous avons vu l’Espagne à la salle Ventadour.
Symphonies de guitares et de mandores, chansons, jotas dansées avec accompagnement de tambours de basque : une très agréable soirée vraiment. Avec quelle mesure, quel ensemble, quelle justesse et quel brio jouaient les musiciens de la troupe du senor Rovira, sous la direction du senor Manoël Mas ! Avec quelle verve joyeuse chantaient les senoras Amalia Ramirez et Carolina Lopez ! Avec quel diable au corps dansaient les senores Diaz et Prugent, et avec quelle rapidité vertigineuse ils faisaient tourner leurs tambours de basque autour de leur tête et de leurs jambes ! Et n’allez pas croire que les musiciens étaient en habit noir et en cravate blanche ; non vraiment, ils avaient la veste, une cravate rouge, une ceinture rouge et jaune, et, sur la tête, le chapeau-lampion.
Ah ! si la belle salle des Italiens avait pu se changer en une salle de posada éclairée par quelques lampes à la clarté économe ; si les spectatrices des loges et des balcons étaient devenues tout à coup de petites manolas de Castille ou d’Andalousie, si les spectateurs s’étaient métamorphosés en muletiers ou en toreros, cela eût été bien mieux encore ! Mais il ne faut pas souhaiter l’impossible.
© Fonds Leduc
La Liberté, 3 juillet 1878
Mon collaborateur Punch vous a parlé, il y a quelques jours, du début, au Théâtre-Italien, de la troupe espagnole de MM. Rovira et Manuel Mas.
Ces musiciens ont, pour la première fois, gratté officiellement leurs guitares dans la salle des fêtes du Trocadéro.
Très, très grand succès – surtout pour la Malaguena, ce curieux chant mi-espagnol, mi-arabe, chanté par Mme Fernandez avec beaucoup de talent.
Le Figaro, 5 juillet 1878
L’Exposition n’a pas amené à Paris que des Tziganes et des Bohémiens ; voici de nouveaux débarqués : une compagnie d’artistes espagnols qui vous nous faire entendre une musique nouvelle, avec un orchestre de grands exécutants qui n’ont d’autres instruments que la guitare traditionnelle.
La troupe des Concerts-Rovira qui s’était fait entendre la veille au Trocadéro, est venue hier à Enghein, donner un échantillon de ses mélodies à son confrère Figaro, dans la propriété de M. de Villemessant.
La troupe de M. Rovira est composée de trente musiciens jouant de la mandoline-luth à cordes métalliques, de la mandore, de la guitare à harpe et autres instruments à huit cordes, dont l’effet est surprenant ; on croirait entendre le coup d’archet sur les violons et contrebasses et jusqu’au son de la flûte et du hautbois.La Marche à pas redoublé, la Ingenua, gavotte d’Arditi, dédiée au Figaro, ont produit un effet semblable à celui que l’on pourrait attendre d’un orchestre complet.
Cette troupe, formée par M. Rovira, un directeur émérite, est conduite par le maestro Manuel Mas ; à ces curieux exécutants sont adjointes trois chanteuses de grand talent.
La troupe Rovira se fera entendre à l’hôtel Continental et donnera plusieurs concerts avant de se rendre à Londres. La variété de son répertoire est considérable et sera loin d’être épuisée avant de nous quitter.
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/maitre-peronilla-doffenbach-inaugure-le-7eme-festival-palazzetto-bru-zane-paris-bigamie
(2) Offenbach : Lischen & Fritzchen / Wachs : Un mari dans la serrure
Paris – Théâtre Marigny (Studio)
28 et 29 février, 1er, 3, 4 et 5 mars 2020
www.theatremarigny.fr/spectacle/les-bouffes-de-bru-zane-fevrier-mars/
Photo © Fonds Leduc
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