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Les atouts de la pluridisciplinarité - Une interview de Didier Schnorhk, Secrétaire général du Concours International de Musique de Genève
A l’occasion du concert parisien des lauréats du Concours International de Genève, le 6 mai prochain à la Salle Gaveau, Didier Schnorhk répond à concertclassic et souligne ce qui singularise la prestigieuse compétition musicale suisse fondée en 1939.
Comment le Concours de Genève se distingue-t-il face à la pléthore de compétitions dont certains instruments, le piano au premier chef, sont l’objet.
Didier Schnorhk : On n’échappe pas à la concurrence, nous sommes dans un monde global et connecté ; la concurrence est réelle, et saine car elle oblige des concours anciens tels que le nôtre (il a été fondé en 1939) à se remettre en cause continuellement. La spécificité de Genève est de ne pas se cantonner au piano ou au violon mais d’être pluridisciplinaire : nous pouvons ainsi nous targuer d’avoir parmi nos lauréats Maurice André, Heinz Holliger, Emmanuel Pahud, mais aussi des violoncellistes, des quatuors à cordes, etc.
Face à une concurrence rude nous essayons de maintenir cette spécificité. Ce n’est pas facile car ça demande des moyens sans commune mesure avec ceux requis à une époque où les concours étaient rares et où l’on pouvait faire quelque chose de professionnel avec des moyens très différents. Nous nous efforçons de présenter deux disciplines par année : après le hautbois et le piano l’an dernier, l’édition 2011, qui se déroulera du 10 au 21 novembre, sera dédiée au chant et au quatuor à cordes. Ceci nous distingue assez facilement par rapport à la pléthore de concours qui, pour la plupart, sont des concours de piano, de violon, de chant, de musique de chambre, pratiquement aucun n’offrant tout cela à la fois.
En même temps c’est un handicap dans la mesure où, lorsque l’on fait un concours avec plusieurs disciplines, on ne peut pas se concentrer avec la même intensité sur celles de l’année que ne le font des concours comme le Chopin de Varsovie sur le piano tous les cinq ans.
Mais nous ne cherchons pas à faire le même concours de piano que Varsovie ; nous tenons à ce que cet instrument soit présent régulièrement (tous le deux ans) et nous n’avons pas à prouver au monde entier que nous sommes bons. Il suffit de regarder la liste de nos lauréats : Arturo Benedetti Michelangeli, Martha Argerich, Pierre-Laurent Aimard, Jean-Claude Pennetier, etc. Il n’y a pas si longtemps Yulianna Avdeeva, qui vient de remporter le 1er Prix du Concours de Varsovie, avait gagné un 2ème Prix à Genève.
Quelles sont les motivations des jeunes musiciens qui passent des concours internationaux ?
D. S. : Ce qui intéresse le plus aujourd’hui les jeunes artistes, qui ont l’embarras du choix, c’est évidemment un peu de gagner de l’argent, mais ce ne n’est pas je pense le critère principal. Il ne faut évidemment pas se situer trop bas car les concours les mieux dotés proposent aujourd’hui des 1er Prix à 30.000 ou 50.000 $. Mais il est essentiel d’offrir aux musiciens une bonne exposition médiatique (radio, télévision, presse et internet) car pour faire carrière il faut être vu, être entendu.
Troisième point, peut-être le plus important, il importe de proposer aux artistes qui gagnent un concours de s’occuper d’eux, au moins pendant un temps. Il est clair dans l’esprit de tous les jeunes aujourd’hui que gagner un concours constitue un premier pas et non un aboutissement ; c’est le début d’une carrière. Nous ne sommes pas les seuls à le faire ; la plupart des grands concours de musique qui ont des moyens essaient de proposer un service à leurs lauréats. Différentes méthodes existent. Beaucoup de concours travaillent avec de grandes agences de concerts. L’inconvénient est que celles-ci fonctionnent sur des bases commerciales et veulent gagner de l’argent. Soit on a les moyens de les payer très cher, soit ces agences vont s’occuper pendant un temps des lauréats et ensuite les laisser tomber assez rapidement. Cela c’est beaucoup passé avec le Concours Van Cliburn par exemple dont les lauréats marchaient bien aux Etats-Unis mais avait du mal à percer en Europe car ils étaient un peu trop formatés pour le marché américain et moins pour le marché européen.
Comment justement le Concours international de Genève fonctionne-t-il sur ce point ?
D. S. : Nous avons essayé de trouver un juste milieu. Je pars du principe que l’organisation d’un concours est une chose et qu’être une agence de concerts en est une autre ; chacun son métier et il ne me semble pas sain de mélanger les genres.
Notre concours travaille avec un partenaire qui n’est pas une grosse agence internationale, mais une petite structure basée à Genève (Promusica) avec laquelle nous entretenons une relation de confiance et d’amitié. Ce n’est pas qu’une agence de concerts, c’est aussi un service artistique. Promusica n’a pas beaucoup de clients sous contrat mais s’en occupe de façon individualisée. Elle ne fait pas que trouver des concerts, elle donne également des conseils. Pendant deux ans elle met le pied à l’étrier à nos lauréats en leur obtenant des engagements, pas forcément les plus prestigieux mais surtout les plus utiles afin de leur permettre de se forger un public, d’élargir leur répertoire, d’apprendre la carrière, de ne pas se brûler les ailes, de se construire pas à pas.
Après deux ans nous remettons nos lauréats dans les mains d’une agence plus commerciale en qui nous avons confiance, dont nous savons qu’elle ne détruira pas l’artiste. L’important est d’aider chaque musicien à trouver sa voie. Il faut tordre le coup à l’idée que la carrière de musicien est forcément une carrière de soliste. On peut gagner des concours de musique à la pelle et ne pas faire une grande carrière de soliste international si l’on n’a pas le caractère, l’envie, la folie pour mener une vie toujours entre deux avions, en jouant essentiellement des concertos. Beaucoup vont essayer de se construire un monde musical, qui peut être passionnant, en allant vers la musique de chambre, l’accompagnement. La participation à un orchestre symphonique peut être une chose formidable aussi. Je souviens d’en avoir parlé avec Emmanuel Pahud (1er Prix à Genève en 1992), sans doute le meilleur flûtiste d’aujourd’hui, alors qu’il présidait un jury chez nous en 2001.
Il peut faire ce qu’il veut, être invité partout où il le souhaite, mais il m’avouait que de jouer toujours les mêmes concertos finit par l’ennuyer et que l’un de ses plus grands plaisirs est de rester flûte solo au Philharmonique de Berlin - le plus grand orchestre du monde - ; que cela le nourrit bien plus que de reprendre tel concerto avec tel orchestre. Il faut aussi mesurer que jouer de la musique avec les autres c’est un plaisir plus intense que de la jouer tout seul, souvent, et puis beaucoup de gens sont faits pour ça !
Venons-en justement au concert parisien du 6 mai, qui s’inscrit dans le cadre d’une tournée européenne de plusieurs de vos lauréats et réunit Ivan Podyomov (hautbois), Mami Hagiwara (piano), deux lauréats de 2010, et le Quatuor Voce (2ème prix en 2006).
D. S. : C’est une formule que nous avons lancée il y a huit ans et qui consiste à proposer aux lauréats de l’année précédente et à d’autres d’éditions un peu antérieures de participer à un même concert. Nous essayons de proposer des programmes intéressants, ce qui n’est pas toujours facile – imaginez qu’il faille réunir le chant, la percussion et la clarinette… Nous nous attachons à proposer un concert qui permette aux jeunes artistes de jouer des pièces qu’ils ont envie d’interpréter, mais aussi d’en découvrir de nouvelles.
Vous avez d’ailleurs inscrit une création de Christophe Looten (son 6ème Quatuor) au programme…
D. S. : En effet, on en doit l’initiative au Quatuor Voce et je trouve intéressant qu’un jeune quatuor qui démarre très bien éprouve le besoin de faire des créations. Il faut encourager pareille démarche. Nous avons par ailleurs proposé aux Voce et à Mami Hagiwara un choix de quintettes avec piano et l’accord s’est fait sur celui de Franck. Autour de cette œuvre, Ivan Podyomov nous a proposé le Quintette avec hautbois KV 406a de Mozart – un arrangement du Quintette pour cordes KV 406, lui-même arrangement d’une sérénade pour vents. Il avait par ailleurs envie de jouer les Phantasiestücke op 73 de Schumann, compositeur qui va très bien avec Franck. En plus de sa participation au Quintette de ce dernier, Mami Hagiwara jouera en solo le Nocturne op 33 n°1 de Fauré et l’Arabeske de Schumann.
Ce ne sont donc pas des œuvres mises les unes à côté des autres ; nous forçons les artistes à réfléchir, à se positionner par rapport à une démarche artistique. Jouer avec d’autres, réfléchir à des programmes, à dire quelque chose au public et pas seulement montrer sa virtuosité : telle est l’image du Concours de Genève que nous souhaitons donner à l’étranger, artistique et musicale plus que virtuose.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 21 avril 2011
Concert des Lauréats du Concours International de Genève
Ivan Podyomov (hautbois), Mami Hagiwara (piano), Quatuor Voce
Œuvres de Mozart, Fauré, Schumann, Franck
6 mai 2011 à 20h30
Paris - Salle Gaveau
www.sallegaveau.com
Site officiel du Concours International de Musique de Genève : www.concoursgeneve.ch
Dédié au chant et au quatuor, le 66e Concours de Genève se tiendra du 10 au 21 novembre 2011 (clôture des inscriptions le 10 mai)
> Tarif préférentiel (à partir de 11 euros)
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Photo : DR
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