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"Les Ballets russes : Une révolution permanente" à la Fondation Louis Vuitton - Mécanique ondulatoire - Compte rendu
"Les Ballets russes : Une révolution permanente" à la Fondation Louis Vuitton - Mécanique ondulatoire - Compte rendu
Chtchoukine (1), Diaghilev, deux manières de génies dans l’intuition artistique et l’esprit novateur : en les reliant dans les murs de sa fondation Louis Vuitton, on ne peut s’empêcher de penser que Bernard Arnault, grand seigneur du luxe contemporain, et fou de beauté, pianistique et autre, a dû beaucoup rêver de ces deux icônes de l’aventure créatrice, à laquelle il participe désormais de façon éblouissante en en prenant le relais !
Revoici donc, dans le confortable petit Auditorium, un rappel des Ballets Russes, dont on ne cesse de rappeler le choc qu’ils donnèrent à l’occident, en lui apportant d’abord la vitalité incroyable d’un sang nouveau, à la fois sophistiqué et barbare , puis en fracassant les codes du ballet, intégré au bouleversement des idées artistiques européennes, et enfin en propulsant sur le devant de la scène Vaslav Nijinski, prodige inégalé par sa virtuosité, son charisme et son audace, lequel laissa une traînée aussi fulgurante que brève mais que personne n’oublia..
Subtil, le programme composé en hommage à ce feu follet qui ne brilla que quelques années et dont on s’obstine à rechercher la lettre alors que l’esprit suffirait, tourne autour de sa création la plus fiable, l’Après-midi d’un Faune, dont il reste la chorégraphie alors que les trois autres ne sont que des fantômes. S’y ajoutent quelques rappels de Fokine, lequel chorégraphia Petrouchka, l’Oiseau de Feu et la Mort du cygne, entre autres. Finement, donc, la soirée donne l’illusion de la modernité sans trahir un certain classicisme, ce qui permet de n’affoler personne. On imagine bien que les chocs du Sacre du printemps et du Faune, il y a un grand siècle, furent infiniment plus provocants que les duos séduisants imaginés par Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe, aujourd’hui directeur artistique du prestigieux Ballet des Flandres, n’a pas son pareil pour garder de la grammaire classique sa plasticité, son lyrisme et sa beauté graphique, tout en lui injectant sa touche personnelle, faite de sensualité, de fluidité et de charme : démarche brillamment aboutie pour Faun, grâce à deux interprètes extraordinaires, James O’Hara et Daisy Phillips, danseurs contemporains de formation traditionnelle, tous deux animés d’un frémissement animal intense.
Elégant également le pas de deux sur l’Oiseau de feu, mais malgré la virtuosité des deux danseurs – on connaît bien Marie-Agnès Gillot, étoile de l’Opéra de Paris, on découvre avec bonheur le superbe Friedemann Vogel, étoile du Ballet de Stuttgart – ; le propos reste un peu en l’air tant la ligne conductrice reste floue, démarche d’ailleurs caractéristique dans la danse contemporaine, qui n’a souvent ni début ni fin. Mais on ne boude pas son plaisir devant ces beaux portés, ces enroulements, ces corps spiralés qui n’en finissent pas d’onduler comme algues poussées par le courant.
Lil Buck et Henri Demarquette © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage
Le choc de la soirée a pourtant été Lil Buck, star du jookin, sorte de hip hop né à Memphis, et devenu partenaire des plus grands artistes classiques, notamment YoYo Ma lequel, l’accompagna dans son solo Swan, énorme succès. Un public élargi y découvrit ces incroyables qualités, dont il faut préciser qu’elles ont également formées par la barre classique. La synthèse qu’il en donne à voir est inouïe de finesse, de grâce et de légèreté, plus que d’expressivité : lui aussi est l’instrument d’un incessante mécanique ondulatoire, omniprésente dans les chorégraphies mises en place dans ce programme, et donne après un Petrouchka immatériel et délicat, -malgré la frappe plus qu’énergique de Théo Fouchenneret au piano-, un Cygne totalement flottant, avant de se brouiller dans sa mort finale. Là ce n’était pas Yo Yo Ma qui le soutenait mais Henri Demarquette, et l’on n’avait pas à s’en plaindre.
Reste le travail de fourmi accompli autour de Nijinski pour un court film intitulé Ballets Russes, par le sculpteur Christian Comte, lequel a patiemment fait resurgir de l’ombre les très rares instants filmés ou photographiés - des éclairs – qui restent du danseur. Un fond minuscule puisé dans douze ballets dansés par Nijinski, qu’il a reliés en une hypothétique recréation mobile. Il faut avouer, malheureusement, que ce vœu pieux n’ajoute pas grand-chose à la gloire du dieu de la danse, dont on sait qu’il n’était vraiment fascinant qu’en scène, alors que ces traces photographiques montrent surtout son visage de moujik, sa silhouette trapue et musculeuse, aux énormes mollets, instruments de son aérienne élévation. Cela a toujours été le problème pour l’empreinte de Nijinski et constitue son mystère, que rien décidément, ne peut éclairer.
Jacqueline Thuilleux
(1) "Les icones de l'art moderne", jusqu'au 22 février 2016 : www.fondationlouisvuitton.fr/expositions/icones-de-l-art-moderne-la-collection-chtchoukine.html
"Les Ballet russes : Une révolution permanente" - Paris, Fondation Louis Vuitton, Auditorium, le 30 octobre 2016 / www.fondationlouisvuitton.fr/
Photo © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage
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