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Les deux concertos pour piano de Ravel par Bertrand Chamayou, Mikko Franck et L’Orchestre Philharmonique de Radio France – La lettre et le cœur – Compte-rendu
Près d’un siècle après leur création (en janvier 1932), les deux concertos pour piano de Ravel font l’objet d’une édition critique(1) appuyée sur les manuscrits du compositeur et sur ses annotations et celles de ses premiers interprètes. De nombreuses personnalités – musicologues, compositeurs, interprètes d’aujourd’hui – se sont penchées sur ambitieuse « Ravel Edition ». Parmi elles, le pianiste Bertrand Chamayou a participé au « comité de lecture » du Concerto pour la main gauche et en donne la première interprétation dans sa nouvelle édition, au côté d’un Orchestre philharmonique de Radio France en grande forme emmené par son directeur musical Mikko Franck, dont le mandat vient d’être reconduit jusqu’en 2025.
Mikko Franck © Radio-France / Christophe Abramowitz
Il n’est pas aisé de déceler à l’oreille l’ampleur des corrections apportées à la partition, d’autant que le pianiste avoue avoir depuis longtemps suivi ses propres intuitions – confirmées depuis par les manuscrits – pour retrouver l’esprit de Ravel au-delà du texte imprimé. Toujours est-il que son interprétation du Concerto pour la main gauche révèle une fluidité du discours rarement entendue dans cette œuvre : de climats en climats, entre force implacable et traits de légèreté, dans la puissance des accords, comme dans la dentelle des arpèges, la lumière pénètre toujours. Elle met en relief jusqu’aux ombres, sans jamais exagérer la noirceur que l’on prête trop souvent à cette œuvre, bien plus équilibrée que cela. L’orchestre partage la même vision : dès l’introduction orchestrale, Mikko Franck embarque orchestre et public dans un envoûtant crescendo, sans surjouer les grondements des contrebasses et du contrebasson ; il privilégiera ensuite toujours la clarté au tumulte, la dramaturgie propre de cet étrange concerto n’ayant aucunement besoin d’être poussée pour se livrer d’elle-même. Les mêmes qualités se retrouvent dans sa direction de La Mer de Debussy, qui offre d’étonnants moments de temps suspendu et privilégient les mystères du ressac au tumulte des flots.
La fluidité, l’intention de parfaite lisibilité sont aussi de mise dans l’interprétation par Bertrand Chamayou des deux Études de Yann Robin (né en 1974) écrites à son intention et données en création mondiale. Le style du compositeur, sa façon souvent éruptive faire surgir la musique d’un geste se retrouve bien ici : dans l’Étude n° 1 « Les Agrégats » d’un motif martelé dans l’aigu du clavier (parfait pendant de la première cadence, dans le grave, du Concerto pour la main gauche de Ravel), Yann Robin déduit peu à peu un discours très rythmique où se lit un hommage à l’art de György Ligeti. L’ombre du compositeur hongrois plane également sur la Deuxième étude « Arachné », mouvement hypnotique pour la main gauche seule, dont Bertrand Chamayou tire des sonorités claires et envoûtantes.
Jean-Guillaume Lebrun
Compagnon de Ravel et de Debussy pour les deux soirées du Philhar, Yann Robin ouvre le second programme avec son Quatuor à cordes n° 2 (2011), confié aux archets d’Eun Jo Lee, Louise Grindel, Marc Desmons et Nicolas Saint-Yves. Intitulé Crescent Scratches, l’ouvrage, d’un seul tenant, fait référence aux techniques des DJ sur les platines vinyles et cultive « une large palette de sonorités granuleuses », pour reprendre les mots de l’auteur, que les exécutants restituent avec énergie et conviction. Sans que la pièce nous convainque pleinement.
Bertrand Chamayou prend ensuite place au clavier pour trois Préludes de Debussy. On connaît mieux le pianiste dans la musique de Ravel que celle de Claude de France mais le foisonnement poétique auquel il parvient dans la Cathédrale engloutie – prise dans un tempo plus allant qu’on en a l’habitude – , la Terrasse des audiences du clair de lune et Feux d’artifice rend impatient du jour où il entreprendra l’exploration complète des deux Livres.
L’impatience est pour l’heure dirigée vers le Concerto en sol de Ravel dont Chamayou, en parfaite entente avec un Mikko Franck des grands soirs, offre une lecture admirable de finesse et de sensibilité. On entend parfois cette œuvre tournant un brin à vide dans les deux mouvements vifs : rien de cela ici, tant le jeu ailé du soliste sait tout à la fois rendre justice à la précision de l’écriture et faire entendre un cœur derrière la musique. Ce avec une immense pudeur, que traduit aussi un Adagio assai qui ne se réduit pas à une affaire entre le piano et le cor anglais (bravo à Stéphane Suchanek !) tant Mikko Franck s’attache à faire continûment vivre chaque parcelle du tissu orchestral. Pavane pour infante défunte en bis : simplicité, noblesse ; la signature d’un grand.
Fin de soirée synonyme d’onirisme avec Ma mère l’Oye. Debout la plupart du temps, à la même hauteur que ses musiciens, Mikko Franck se révèle en totale osmose avec eux et signe une interprétation dont la prégnance et les couleurs féeriques charment, au sens le plus fort du mot.
Signalons enfin que Bertrand Chamayou et David Kadouch seront les solistes des deux concertos de Ravel lors d'une tournée de l'Orchestre des Champs-Elysées (2), sous la baguette de Louis Langrée (très impliqué dans l'Edition Ravel), du 17 au 20 décembre (Poitiers, Châlons-en-Champagne, La Rochelle, Boulogne-Billancourt/La Seine Musicale).
Alain Cochard
(1) www.raveledition.com
(2) orchestredeschampselysees.com/concert/ravel-360%C2%B0-2
Paris, Auditorium de Radio France, 2 et 3 octobre 2020
Photo © Marco Borggreve
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