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Les Enfants terribles de Philip Glass à l’Opéra de Rennes – Nos jeunes sont vieux – Compte-rendu
Bien que spectaculaire, Et in Arcadia ego, collage d’airs de Rameau mis en scène par Phia Ménard à l’Opéra-Comique en 2018 n’avait pas totalement convaincu. Cette fois, à la demande de La co[opéra]tive, la jongleuse et chorégraphe s’attaque à un véritable opéra, celui que Philip Glass a écrit en 1996 d’après le roman de Cocteau dont Jean-Pierre Melville avait tiré un film, Les Enfants terribles. Le résultat est un curieux mélange, une production qui tantôt tourne résolument le dos à tout réalisme, tantôt s’inscrit dans un quotidien délibérément trivial. L’ouverture propose d’abord des images fascinantes : grâce à une triple tournette, les trois pianos qui accompagnent les chanteurs décrivent un cercle autour du plateau central où un décor composé de trois parois à rideaux tourne sur lui-même, en parfaite adéquation avec l’infinie répétition des volutes et des motifs de la partition de Glass.
© Christophe Raynaud de Lage
Hélas, cet enchantement ne dure pas, car lorsque le tournoiement cesse, on découvre le parti pris de faire des protagonistes les pensionnaires d’un EHPAD. Sur les scènes d’opéra, les hospices remplacent aujourd’hui l’Arcadie, et là où Monsieur Jourdain s’exclamait « Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout », on serait tenté de demander « Pourquoi toujours des retraités ? » Certes, la langue de Cocteau est devenue bien désuète, et la musique de Glass a elle aussi son âge, mais pourquoi rendre l’intrigue encore un peu moins simple à suivre, le désir entraînant les différentes personnages les uns vers les autres devenant alors tout sauf flagrant ? De plus, le narrateur, rôle ici confié à un comédien plutôt qu’à l’interprète de Gérard ; Jonathan Drillet, par ailleurs dramaturge, s’est fait la tête de Cocteau, mais incarne un personnage non binaire et ajoute à son texte des interventions censément humoristiques, parfois très longues, en nette rupture avec le climat instauré par l’œuvre.
Une autre intervention ajoutée est un extrait d’un court métrage réalisé en 1963, l’année même de la mort de l’écrivain, où Cocteau s’adresse aux humains de l’an 2000, rêvant longuement du moyen de transport qui aura peut-être supplanté l’avion, et expliquant entre autres choses que les jeunes des années 1960 sont déjà vieux… Et pour la deuxième partie de la représentation, les quatre personnages semblent participer à une sorte de soirée costumée, avec d’invraisemblables déguisements, même les pianistes, d’abord en blouse blanche de médecin, arborant cette fois le frac, la fraise et un maquillage de clown.
© Christophe Raynaud de Lage
L’aspect musical est, lui, moins déroutant, quoique… La direction est confiée à Emmanuel Olivier, qui dirigeait déjà les représentations données à Bordeaux et à Paris en 2011-12, et qui joue l’un des trois pianos, avec Nicolas Royez et Flore Merlin (pourquoi celle-ci entre-t-elle d’abord en scène avec des béquilles, dont elle n’a manifestement plus besoin pour venir saluer ? Mystère). Les chanteurs, eux, étonnent par la manière dont ils investissent le texte, le surarticulant presque, très loin de la diction « désincarnée » qui prévaut parfois chez les interprètes de Glass, par exemple pour La Belle et la bête. Olivier Naveau (Paul) est le seul à opter pour un chant relativement détaché, privilégiant ainsi l’aspect rêveur du personnage, atteint de somnambulisme, victime de son entourage. Excellent ténor de caractère par ailleurs, François Piolino ne peut s’empêcher de charger Gérard et d’en faire, théâtralement mais aussi vocalement, un personnage assez ridicule, la partition étant, il faut le dire, particulièrement redoutable, d’autres chanteurs s’y étant cassé les dents. Ingrid Perruche n’est pas tout à fait la mezzo habituellement distribuée en Dargelos/Agathe, mais son timbre se distingue suffisamment de celui de Mélanie Boisvert, dont les talents de colorature ne sont ici guère exploités, mais qui se tire avec brio du rôle de mégère septuagénaire qui lui est imposé.
Laurent Bury
Photo © Christophe Raynaud de Lage
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