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Les Entrelacs de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo - La Pyramide inversée - Compte-rendu
Les Entrelacs de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo - La Pyramide inversée - Compte-rendu
Rien n’est laissé au hasard dans l’ordonnancement de cette parfaite trilogie de trois ballets dont l’un, Vers un Pays sage, date de vingt ans tandis que le dernier, Presque rien est donné en création. Entre eux, Entrelacs, écrit, lui, en 2000. On ne mesure jamais assez combien il est subtil de créer une gradation, de tracer un axe souterrain dans un programme composite, comme dans un concert ou plus simplement lorsqu’on associe des vêtements d’époques différentes pour faire émerger un style, voire un message. C’est ici le cas, et avec d’autant plus de force que le créateur lui-même est aux commandes. C’est donc Maillot qui, après avoir envisagé son programme dans un autre ordre, en a décidé ainsi pour apprivoiser la sensibilité du public et le mettre en condition, lui éclairer le chemin.
Du maître à la fois ludique et profond qui gère le ballet monégasque, on a appris à mesurer les contrastes d’inspiration et de forme. Ces derniers temps, la force de la narration chorégraphique, qu’il avait d’ailleurs toujours cultivée, s’était imposée à lui, et à nous, de Choré et Casse-Noisette Compagnie à la superbe Mégère apprivoisée, écrite aux mesures du Bolchoï, l’an passé, c’est dire à quelle échelle de virtuosité scénique ! Puis, comme un compositeur d’opéra s’adonnant aux délices intimes de la musique de chambre, le voici tenté par une vision plus resserrée de la chose dansée, dans tous ses états. Comme pour se libérer de l’opulence de ses images de contes, de ses tableaux presque cinématographiques, de ses scènes spectaculaires. C’est donc vers la quasi-ascèse du pas-de-deux que tend Presque rien, sur lequel se clôt le programme « Je ne voulais presque pas de musique, dit Maillot, juste des sons, un simple support que m’a bâti mon frère le compositeur Bertrand Maillot ». Bruits de la vie esquissés, donc, pour étayer l’affrontement amoureux d’un couple en proie aux contrastes tendres ou violents de la passion. Un magnifique moment d’épure mais non d’abstraction, qui tend vers un noyau dur, à coup de rencontres frontales, de cambrés et de portés d’une intense expressivité, même s’ils ne racontent qu’eux-mêmes. Duo de choc, âpre et dérangeant, vécu jusqu’à la corde par Maude Sabourin et Christian Tworzyanski.
C’est sur cette pointe de la pyramide, qui nous ramène à un essentiel, que se clôt le spectacle commencé dans l’éblouissement de Vers un Pays sage, ballet devenu l’une des cartes de visite des Ballets de Monte Carlo. Irrésistible déploiement d’énergie, dynamique à la fois folle et contrôlée, sur la jouissive musique de John Adams,- où se retrouvent des échos de notre berliozienne Symphonie fantastique (Un bal)- de six couples déployés en un hymne à la vie et au mouvement, qui occupe l’espace en une sorte de symphonie gestuelle. Le ballet, auquel Maillot tient beaucoup, fut écrit en hommage à son père, le peintre et décorateur Jean Maillot, qui lui a communiqué son insondable énergie, jusqu’à sa dernière exposition, intitulée Pays sage. Le ballet, lui, ne l’est pas, et avant de laisser le mouvement se glisser dans un au-delà inconnu, il épouse le monde en une frénésie d’élans.
Personne ne résiste à cette façon de Sacre du Printemps, qui arrachant les sensibilités aux impératifs extérieurs, plonge au plus fort de la danse. D’autant qu’il est porté par une compagnie à l’énergie décuplée, aux lignes superbes, enrichie de quelques nouveaux éléments remarquables. On est prêts, ensuite, à goûter comme une esquisse délicate, un haïku, les Entrelacs créés en 2000 sur la musique aux accents bleutés de Ian Maresz, où tout se trace à la pointe sèche, sans le moindre lyrisme, en des combinaisons de lignes d’une grande subtilité. Un peu comme jadis Béjart le fit pour le Marteau sans maître de Boulez. Et l’on peut ainsi, d’une sensibilité nettoyée, accéder à la radicalité de Presque rien. Idée forte que celle de cette descente en soi, permise par une vision artistique totalement maîtrisée.
Jacqueline Thuilleux
Du maître à la fois ludique et profond qui gère le ballet monégasque, on a appris à mesurer les contrastes d’inspiration et de forme. Ces derniers temps, la force de la narration chorégraphique, qu’il avait d’ailleurs toujours cultivée, s’était imposée à lui, et à nous, de Choré et Casse-Noisette Compagnie à la superbe Mégère apprivoisée, écrite aux mesures du Bolchoï, l’an passé, c’est dire à quelle échelle de virtuosité scénique ! Puis, comme un compositeur d’opéra s’adonnant aux délices intimes de la musique de chambre, le voici tenté par une vision plus resserrée de la chose dansée, dans tous ses états. Comme pour se libérer de l’opulence de ses images de contes, de ses tableaux presque cinématographiques, de ses scènes spectaculaires. C’est donc vers la quasi-ascèse du pas-de-deux que tend Presque rien, sur lequel se clôt le programme « Je ne voulais presque pas de musique, dit Maillot, juste des sons, un simple support que m’a bâti mon frère le compositeur Bertrand Maillot ». Bruits de la vie esquissés, donc, pour étayer l’affrontement amoureux d’un couple en proie aux contrastes tendres ou violents de la passion. Un magnifique moment d’épure mais non d’abstraction, qui tend vers un noyau dur, à coup de rencontres frontales, de cambrés et de portés d’une intense expressivité, même s’ils ne racontent qu’eux-mêmes. Duo de choc, âpre et dérangeant, vécu jusqu’à la corde par Maude Sabourin et Christian Tworzyanski.
C’est sur cette pointe de la pyramide, qui nous ramène à un essentiel, que se clôt le spectacle commencé dans l’éblouissement de Vers un Pays sage, ballet devenu l’une des cartes de visite des Ballets de Monte Carlo. Irrésistible déploiement d’énergie, dynamique à la fois folle et contrôlée, sur la jouissive musique de John Adams,- où se retrouvent des échos de notre berliozienne Symphonie fantastique (Un bal)- de six couples déployés en un hymne à la vie et au mouvement, qui occupe l’espace en une sorte de symphonie gestuelle. Le ballet, auquel Maillot tient beaucoup, fut écrit en hommage à son père, le peintre et décorateur Jean Maillot, qui lui a communiqué son insondable énergie, jusqu’à sa dernière exposition, intitulée Pays sage. Le ballet, lui, ne l’est pas, et avant de laisser le mouvement se glisser dans un au-delà inconnu, il épouse le monde en une frénésie d’élans.
Personne ne résiste à cette façon de Sacre du Printemps, qui arrachant les sensibilités aux impératifs extérieurs, plonge au plus fort de la danse. D’autant qu’il est porté par une compagnie à l’énergie décuplée, aux lignes superbes, enrichie de quelques nouveaux éléments remarquables. On est prêts, ensuite, à goûter comme une esquisse délicate, un haïku, les Entrelacs créés en 2000 sur la musique aux accents bleutés de Ian Maresz, où tout se trace à la pointe sèche, sans le moindre lyrisme, en des combinaisons de lignes d’une grande subtilité. Un peu comme jadis Béjart le fit pour le Marteau sans maître de Boulez. Et l’on peut ainsi, d’une sensibilité nettoyée, accéder à la radicalité de Presque rien. Idée forte que celle de cette descente en soi, permise par une vision artistique totalement maîtrisée.
Jacqueline Thuilleux
Vers un Pays Sage, Entrelacs et Presque Rien (chor. Jean-Christophe Maillot) - Monte-Carlo, Opéra, 24 octobre 2015.
A noter que Casse Noisette Compagnie, donné du 29 décembre 2015 au 4 janvier 2016, sera retransmis en direct le 30 décembre dans de nombreuses salles de cinéma (précisions données ultérieurement), et que deux splendides étoiles du Bolchoï y participeront, Olga Smirnova et Artem Ovcharenko. Un beau couronnement pour cette année qui fête les trente ans des Ballets de Monte Carlo. www.balletsdemontecarlo.com
Photo © Alice Blangero
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