Journal
Les Fêtes vénitiennes d’André Campra à l’Opéra comique - Un grand cru – Compte-rendu
Créé en 1710, Les Festes vénitiennes fut le plus grand triomphe d’André Campra, et l’une des meilleures affaires de l’Académie royale de Musique depuis sa création : après avoir donné lieu à une cinquantaine de représentations consécutives, l’œuvre fut reprise neuf fois jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Presque jamais à l’identique, cela dit : en dépit du succès, ou pour le mieux entretenir, les auteurs, Campra et son librettiste Antoine Danchet, commencèrent, dès le second mois, à modifier l’ouvrage.
Il faut rappeler que ce dernier appartient à un genre alors tout neuf, celui de la « comédie-ballet », dont chacun des « actes » (appelés « entrées », en référence à l’ancien ballet de cour) propose une intrigue indépendante. On peut ainsi ôter ou ajouter des entrées - par exemple en fonction de l’actualité -, sans craindre de déséquilibrer le tout. En général, un opéra-ballet compte un prologue et trois ou quatre entrées - au fil du temps, Danchet et Campra ne produisirent pas moins de quatre prologues et neuf entrées différents et combinables !
© Vincent Pontet
Au sein de cette manne, il fallait choisir, ce que William Christie et Robert Carsen firent non sans mal mais, pour autant qu’on en peut juger, habilement. Le spectacle de l’Opéra comique fait donc s’enchaîner quatre « parties » écrites en 1710 : « Le Triomphe de la Folie sur la Raison dans le temps du Carnaval » (prologue), « Le Bal » (entrée 1), « Les Sérénades et les joueurs » (entrée 2) et « L’Opéra » (entrée 3).
D’un point de vue théâtral, le montage fonctionne fort bien, grâce notamment à un décor dépouillé (de Radu Boruzescu), en trois pans représentant des façades palladiennes, qui, suivant leur disposition, peuvent évoquer aussi bien la place Saint-Marc, les canaux brumeux de la Sérénissime que l’intérieur d’un palais ou d’un théâtre.
Le prologue introduit une foule de touristes en jeans et doudounes, venus se divertir à Venise au temps du carnaval (personnifié par un impressionnant géant articulé), tandis que l’épilogue nous montre les mêmes touristes cuvant leur vin au milieu des déchets dont ils ont maculé la Lagune (mélancolique clin-d’œil à la déprédation ordinaire).
© Vincent Pontet
Les trois « entrées », en somptueux costumes du XVIIIe (variations chics sur le rouge - cramoisi, grenat, vermillon, carmin, sang, pourpre - relevées d’un peu de noir, de blanc et d’or), peuvent passer pour un rêve ou un divertissement déguisé réservé aux visiteurs du prologue.
La direction d’acteurs fine et enjouée, sans jamais être trop chargée dans le registre bouffe, confirme - après une Platée plutôt réussie sur la même scène l’an dernier - que le comique convient décidément à Carsen. Surtout quand, comme ici, il joue du second degré (parodie des philosophes antiques du prologue, des mœurs des acteurs et danseurs ailleurs), de la mise en abîme (la représentation d’opéra de la troisième entrée, qui dissimule un enlèvement) et des fausses apparences (Léandre flirtant avec deux dames qu’il a abandonnées en les prenant pour la troisième, dans la seconde entrée ; le prince Alamir échangeant ses habits avec son valet, dans la première).
Musicalement, Campra nous enchante : le récitatif est enlevé, mobile, les nombreuses danses toujours caractérisées, les « petits airs » piquants, les arias italiennes pleines de panache, les chœurs denses et entraînants. On retient notamment le duo contrasté d’Héraclite et Démocrite au prologue (l’un pleure, l’autre rit : Stuck en fera une sublime cantate en 1729), la scène hilarante, inspirée du Bourgeois gentilhomme, opposant le Maître de chant au Maître à danser dans la première entrée (Campra en profite pour tisser un extraordinaire melting pot inspiré des tragédies de Lully, Destouches et Marais), le prélude nocturne et la sérénade de la seconde entrée et le divertissement pastoral de la troisième.
© Vincent Pontet
Christie et ses Arts Flo évoluent comme des poissons dans l’eau dans cette veine galante qui exige surtout du tact, de la vivacité, du raffinement et de la couleur. Au prologue, on note certes quelques écarts de justesse (qui affectent jusqu’à la brillante soprano Emmanuelle de Negri, Raison légèrement vacillante) mais les choses s’améliorent ensuite, même si le jeu des violons pourrait être plus soutenu.
Les quelques vingt-trois rôles ont été distribués à une dizaine de jeunes chanteurs au sein desquels les « ténors » se distinguent : ineffable, enivrant Zéphyr de Reinoud Van Mechelen (décidément LA haute-contre à suivre), brillant Adolphe de Cyril Auvity, inénarrable Maître de chant de Marcel Beekman, dont, cependant, le français, toujours très nasalisé, ne s’est guère amélioré depuis sa Platée de l’an dernier. Mais il convient aussi d’applaudir le timbre sombre, profond, parfois un peu « grossi » de François Lis (Léandre) et le soprano fruité de Rachel Redmond (Leontine), tandis que la voix plate, engorgée et sans résonnance de Marc Mauillon, distribué dans des rôles trop graves, nous gêne toujours autant et que l’émission droite et, du coup, peu juste d’Elodie Fonnard gâche le rôle d’Iphise.
Se mêlant harmonieusement aux chanteurs et au chœur (toujours remarquable), les onze danseurs du Scapino Ballet Rotterdam d’Ed Wubbe, nouveau venu dans le monde lyrique, apportent à la soirée un supplément de fougue, pas toujours dépourvue de vulgarité, mais électrisante pour le public – qui a salué avec enthousiasme ce grand cru du tandem Christie/Carsen.
Après Favart, Les Fêtes Vénitiennes partent en tournée avec d’abord le Théâtre de Caen au tout début d’avril puis, en 2016, le Capitole de Toulouse et, enfin, la Brooklyn Academy of Music de New York.
Olivier Rouvière
Campra : Les Fêtes Vénitiennes - Paris, Opéra comique, les 27, 29, 30 janvier, 1° et 2 février 2015, prochaine représentations 1er et 2 avril 2015 ( Théâtre de Caen theatre.caen.fr/Spectacles/les-f%C3%AAtes-v%C3%A9nitiennes) ; du 23 au 28 février 2016 (Théâtre du Capitole de Toulouse), 13 au 17 avril 2016 (Brooklyn Academy of Music, New York).
www.concertclassic.com/concert/les-fetes-venitiennes-andre-campra
Photo © Vincent Pontet
Derniers articles
-
30 Décembre 2024François Joubert-Caillet et L’Achéron à l’Arsenal de Metz (12 janv.) – Un dimanche avec Marin MaraisCollectif
-
30 Décembre 2024La Reine des neiges par le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine au – Chaleur et grâce – Compte-renduJacqueline THUILLEUX
-
27 Décembre 2024Archives du Siècle Romantique