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Les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann en création scénique française à l’Opéra national de Lorraine – L’amour aux trousses – Compte-rendu
Les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann en création scénique française à l’Opéra national de Lorraine – L’amour aux trousses – Compte-rendu
En 1943, il ne manque rien à Bernard Herrmann (1911-1975) pour accomplir son rêve d’opéra. Il a trouvé son sujet : les Hauts de Hurlevent, chef-d’œuvre de la littérature anglaise du XIXe siècle. Lucille Fletcher, première épouse du compositeur, adapte le prologue et la première partie du roman d’Emily Brontë et lui fournit son livret. L’action est resserrée autour de l’amour indéfectible depuis l’enfance, mais impossible, entre Cathy Earnshaw, fille de bonne famille, et Heathcliff, enfant trouvé et adopté par la famille en question. L’implacable hiérarchie sociale sépare leurs chemins ; malgré leur passion, Cathy épouse Edgar Linton, sachant qu’elle commet une erreur fatale. Heathcliff rétorque et prend Isabel comme épouse, la sœur d’Edgar. L’histoire finira mal, avec l’éternelle question de l’origine, des racines et le choix cornélien, entre l’ascension sociale, la famille, et le cœur, qui « a ses raisons que la raison ignore ». Flash-back, tensions, angoisses, mystères, tendresse, jalousie, violence et désespoir se mêlent, sur fond de nature et de climat hostiles dans les landes tempétueuses du nord de l’Angleterre, aussi brutales et changeantes que la psychologie des personnages.
Orpha Phelan © DR
Un tel tableau ne pouvait qu’inspirer Herrmann, qui travailla pendant presque huit ans sur son ouvrage. En quelques notes plaintives, orchestrées d’une main de maître, le spectateur est plongé au milieu des vents hurlants. Les plaintes des bois, les grincements ou gémissements des cordes, le martèlement des percussions, Herrmann a l’art d’installer le malaise, de camper le paysage, d’anticiper les mouvements des âmes. Il sait aussi être lyrique, néoromantique parfois, un souffle de Nuit transfigurée de Schoenberg, un soupçon de Zemlinsky, le vertige de Tchaïkovski, mais aussi la plénitude des grandes pages de Copland ou de Delius que le compositeur affectionnait tant.
Un tel tableau ne pouvait qu’inspirer Herrmann, qui travailla pendant presque huit ans sur son ouvrage. En quelques notes plaintives, orchestrées d’une main de maître, le spectateur est plongé au milieu des vents hurlants. Les plaintes des bois, les grincements ou gémissements des cordes, le martèlement des percussions, Herrmann a l’art d’installer le malaise, de camper le paysage, d’anticiper les mouvements des âmes. Il sait aussi être lyrique, néoromantique parfois, un souffle de Nuit transfigurée de Schoenberg, un soupçon de Zemlinsky, le vertige de Tchaïkovski, mais aussi la plénitude des grandes pages de Copland ou de Delius que le compositeur affectionnait tant.
© Opera national de Lorraine
A l’Opéra national de Lorraine, qui offre la première version scénique (1) française de l’ouvrage, cet aspect de l’écriture herrmanienne est rendu particulièrement clair et précis sous la baguette de Jacques Lacombe, qui dompte les masses, ménage tous les effets de la musique, si directe, se montre aussi attentif aux chanteurs qu'aux pupitres de la formation nancéenne, tous en pleine forme, visiblement heureux de défendre la partition. Le grand orchestre symphonique que déploient les Hauts de Hurlevent sait aussi se faire chambriste au profit de la ligne vocale et de l’intelligibilité du texte. On salue au passage l’idée d’avoir extrait la harpe solo qui œuvre depuis une corbeille de côté : magnifique.
La distribution majoritairement anglo-saxonne est homogène et de très belle tenue, portée par un couple marié à la ville : Layla Claire (Cathy) et John Chest (Heathcliff). Ils peuvent être fiers de la force de leurs incarnations : la soprano possède une voix onctueuse et lyrique à souhait, avec un air troublant de Tippi Hedren dans Marnie, qui se confirme dans la grande scène de folie du troisième acte. John Chest campe à la perfection l’être sensible, sauvage, bourru, entier et dévasté qu’est et devient Heathcliff au fil du temps. Sa belle voix de baryton tonne ou s’émeut, selon. Le premier ténor est un héros pâle et chétif ici, puisqu’il s’agit du mari de Cathy, Edgar, excellent Alexander Sprague. Le second, beaucoup plus sombre, n’est autre qu’Hindley, frère de Cathy, dans la détestation et la jalousie d’Heathcliff depuis l’enfance, incarnation parfaitement effrayante et vocalement très aboutie de Thomas Lehman. On ne sait pas lequel des deux ténors fait le plus pitié …
A l’Opéra national de Lorraine, qui offre la première version scénique (1) française de l’ouvrage, cet aspect de l’écriture herrmanienne est rendu particulièrement clair et précis sous la baguette de Jacques Lacombe, qui dompte les masses, ménage tous les effets de la musique, si directe, se montre aussi attentif aux chanteurs qu'aux pupitres de la formation nancéenne, tous en pleine forme, visiblement heureux de défendre la partition. Le grand orchestre symphonique que déploient les Hauts de Hurlevent sait aussi se faire chambriste au profit de la ligne vocale et de l’intelligibilité du texte. On salue au passage l’idée d’avoir extrait la harpe solo qui œuvre depuis une corbeille de côté : magnifique.
La distribution majoritairement anglo-saxonne est homogène et de très belle tenue, portée par un couple marié à la ville : Layla Claire (Cathy) et John Chest (Heathcliff). Ils peuvent être fiers de la force de leurs incarnations : la soprano possède une voix onctueuse et lyrique à souhait, avec un air troublant de Tippi Hedren dans Marnie, qui se confirme dans la grande scène de folie du troisième acte. John Chest campe à la perfection l’être sensible, sauvage, bourru, entier et dévasté qu’est et devient Heathcliff au fil du temps. Sa belle voix de baryton tonne ou s’émeut, selon. Le premier ténor est un héros pâle et chétif ici, puisqu’il s’agit du mari de Cathy, Edgar, excellent Alexander Sprague. Le second, beaucoup plus sombre, n’est autre qu’Hindley, frère de Cathy, dans la détestation et la jalousie d’Heathcliff depuis l’enfance, incarnation parfaitement effrayante et vocalement très aboutie de Thomas Lehman. On ne sait pas lequel des deux ténors fait le plus pitié …
© Opéra national de Lorraine
Orpha Phelan(2) signe une belle mise en scène, qui a l’immense avantage d’être sobre, littérale et fidèle à l’histoire et aux effets « climatiques » du roman et de la musique. Décor unique : un parquet qui ondule comme les vallons des landes, troué par quelques pans d’eau, desquels émergent buissons de bruyère, et éléments d’intérieur, pendule, épinette, canapé … Le cyclorama en fond de scène offre à voir et à ressentir, les différentes lumières du vaste ciel, qui évoluent au gré des humeurs. Les costumes sont d’époque et parlent d’eux-mêmes (Madeleine Boyd signe décors et costumes). La direction d’acteur soignée et exigeante témoigne d’un long travail d’équipe. Orpha Phelan s’est octroyé une liberté, en faisant voir au spectateur les doublures enfants du couple principal, et de montrer délicatement, le lien fusionnel qui les unit depuis leur plus tendre enfance. Ce parti pris dramaturgique fait figure de flash-back en simultané, très cinématographique et magnifiquement réalisé.
De ce désastre amoureux et destin si cruel, de cette histoire au bout du compte insoutenable, Herrmann tire un drame lyrique d’une infinie beauté, digne des plus grands opéras et de ses pages immortelles pour le cinéma. On rêverait d’un second épisode ...
Quant à la fin de la saison de l’Opéra national de Lorraine, elle propose un répertoire plus familier avec Madame Butterfly qui tiendra l’affiche du 23 juin au 2 juillet, dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet et sous la baguette de Modestas Pitrėnas (3)
Gaëlle Le Dantec
Orpha Phelan(2) signe une belle mise en scène, qui a l’immense avantage d’être sobre, littérale et fidèle à l’histoire et aux effets « climatiques » du roman et de la musique. Décor unique : un parquet qui ondule comme les vallons des landes, troué par quelques pans d’eau, desquels émergent buissons de bruyère, et éléments d’intérieur, pendule, épinette, canapé … Le cyclorama en fond de scène offre à voir et à ressentir, les différentes lumières du vaste ciel, qui évoluent au gré des humeurs. Les costumes sont d’époque et parlent d’eux-mêmes (Madeleine Boyd signe décors et costumes). La direction d’acteur soignée et exigeante témoigne d’un long travail d’équipe. Orpha Phelan s’est octroyé une liberté, en faisant voir au spectateur les doublures enfants du couple principal, et de montrer délicatement, le lien fusionnel qui les unit depuis leur plus tendre enfance. Ce parti pris dramaturgique fait figure de flash-back en simultané, très cinématographique et magnifiquement réalisé.
De ce désastre amoureux et destin si cruel, de cette histoire au bout du compte insoutenable, Herrmann tire un drame lyrique d’une infinie beauté, digne des plus grands opéras et de ses pages immortelles pour le cinéma. On rêverait d’un second épisode ...
Quant à la fin de la saison de l’Opéra national de Lorraine, elle propose un répertoire plus familier avec Madame Butterfly qui tiendra l’affiche du 23 juin au 2 juillet, dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet et sous la baguette de Modestas Pitrėnas (3)
Gaëlle Le Dantec
(1) La création française en version de concert a eu lieu en 2010, à l'initiative de René Koering,au Festival de Radio France/Montpellier, sous la baguette d'Alain Altinoglu (enregistrement disponible chez Universal)
(2) Lire d’interview d’Orpha Phelan : www.concertclassic.com/article/orpha-phelan-met-en-scene-les-hauts-de-hurlevent-de-bernard-herrmann-lopera-national-de
(3) www.opera-national-lorraine.fr/programme/madama-butterfly
B. Herrmann : Les Hauts de Hurlevent (création scénique française) – Nancy, Opéra, 7 mai, prochaine représentation le 12 mai 2019 // www.opera-national-lorraine.fr/programme/les-hauts-de-hurlevent
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