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Les Oiseaux de Walter Braunfels en création française à l’Opéra national du Rhin – Sans plumes et franchement au poil – Compte-rendu
© Klara Beck
Un siècle : c’est très exactement ce que le chef-d’œuvre lyrique de Walter Braunfels (1882-1954) aura dû attendre pour enfin connaître sa création sur une scène française. On croit rêver s’agissant d’une partition aussi belle et accessible, d’une force qui parle autant à l’imagination qu’au cœur. On croit rêver mais ... il est vrai que le compositeur allemand, amoureux du chant et des timbres, demeura indifférent – maxima culpa ! – à la mélopée des sirènes sérielles. Ceci pourrait expliquer un peu de cela ... Le temps est passé ; pas mal de pendules ont été remises à l’heure et le moment est enfin venu pour le public français de découvrir un opéra en deux actes pétri de post-romantisme et riche d’influences parfaitement assimilées (de Mozart à Richard Strauss, en passant par Mendelssohn et, surtout, Wagner).
Librement inspiré de la comédie d’Aristophane, l’excellent livret des Oiseaux, de la main de Braunfels, offre un hymne à la fantaisie dans sa première partie, avant de prendre une tournure plus grave dans la seconde, au terme de laquelle, après l’avertissement de Prométhée, Zeus punit l’hubris des hommes – Fidèlami/Rattefreund et Bonespoir/Hoffegut ont poussé les oiseaux à construire une cité dans le ciel – et renvoie les deux protagonistes masculins à la réalité.
© Klara Beck
Ted Huffman, très inspiré, signe la mise scène de ces premiers Oiseaux français, dans des décors de son complice Andrew Liebermann, avec des costumes bien trouvés de Doey Lüthi. Pas une seule plume dans une production située dans un décor unique, l’un des ces "open spaces" chers à nos sociétés modernes, transpirant de grisâtrerie et d’ennui, où la fantaisie, la drôlerie, la sensualité, la poésie, le rêve et le drame vont se déployer avec des moyens très simples (la saisissante tempête à l’acte II, pleine de réminiscences de celle du Vaisseau fantôme, produit son effet avec de simples feuilles A4 agitées à bout de bras par les protagonistes, sous les lumières, remarquables, de Bernd Purkrabek).
On s’en voudrait de déflorer les surprises, les trouvailles – jamais gratuites – de la régie de Ted Hufmann, ce d’autant que la production sera captée par ARTE Concert et disponible un an durant à partir du 10 février. On se reprocherait tout autant que de ne pas saluer la performance des cinq danseurs impliqués ; avec à leur tête Toon Lobach, longiligne faune blond souple comme une liane, ils apportent une contribution essentielle au déroulé et au relief de la prenante fantaisie lyrique de Braunfels.
Marie-Eve Munger (Le Rossignol) © Klara Beck
Distribution irréprochable de A à Z que celle réunie par l'Opéra national du Rhin. Dans le rôle périlleux du Rossignol (dont la créatrice à Munich en 1920 se nommait Maria Ivogün ...), la Canadienne Marie-Eve Munger possède la facilité dans l’aigu, la parfaite justesse, le legato et, plus encore, une rare capacité à habiter les notes.
On n’est pas près d’oublier son long duo du début du II avec Bonespoir. Vrai défi aussi pour le ténor qu’un personnage que Thomas Katajala (photo à dr.) campe avec une richesse de matériau et une autorité qui correspondent à une psychologie assez monolithique, différente de celle, plus tendre, plus baba cool pourrait-on dire (et c’est ainsi que Huffman nous le représente), de Fidélami que le baryton-basse Cody Quattlebaum (photo à g.) incarne avec beaucoup se sensibilité. En La Huppe, sympathique roi des volatiles, Christoph Pohl, irradie de noblesse et d’humanité – et souligne les accents à la Hans Sachs presque de ce rôle attachant – tandis que Julie Goussot (ancienne stagiaire de l’Opéra Studio) offre un délicieux Roitelet, justement remarqué à l’applaudimètre.
Christoph Pohl (La Huppe, au premier plan de profil) © Klara Beck
Avec un timbre idéal, Josef Wagner apporte à l’avertissement de Prométhée toute la noirceur nécessaire et, si le rôle de Zeus est court, Young-Min Suk (issu du Chœur de l’OnR) mérite lui aussi bien des éloges, tout comme les titulaires d'emplois plus modestes : Antoin Herrera-López Kessel (L’Aigle - beau baryton-basse cubain que l’on regrette de ne pas plus entendre), Danial Dropulja (Le Corbeau), Namdeuk Lee (Le Flamant rose), Simonetta Cavalli (une grive), Nathalie Gaudefroy (une grive), Dilan Ayata, Tatiana Zolotikova et Aline Gozlan (des hirondelles). Quant Alessandro Zuppardo : chapeau bas pour son travail à la tête du Chœur de l’OnR, l’un des tout premiers de France parmi les formations vocales attachées à une maison d’opéra.
Sora Elisabeh Lee © OnR
En fosse, la jeune cheffe coréenne peut certes s’appuyer sur le travail accompli par Aziz Shokhakimov, il n’empêche qu’elle mérite – et recueille ! – force applaudissements pour sa maîtrise, sa fluidité, son sens des plans sonores dans une partition techniquement très exigeante (au passage, bravo aux vents remplaçants ! ). Son amour des timbres, son goût du détail ne la détournent jamais pourtant de la vie du plateau, de la respiration du chant. Pas de doute, Sora Elisabeth Lee est une artiste à suivre et dont vous entendrez vite reparler.
Le spectacle tient l’affiche jusqu’au 30 janvier à Strasbourg, les 20 et 22 février à Mulhouse. Comme souvent, l’événement lyrique est en province : n’hésitez pas et faites vite !
Alain Cochard
(2) Un communiqué de l’OnR du 21/01 en tout début d’après-midi nous apprend qu’Aziz Shokhakimov, souffrant, sera remplacé par Sora Elisabeth Lee le 22 janvier.
Braunfels : Les Oiseaux (Die Vögel) : Strasbourg, Opéra du Rhin, 19 janvier ; prochaines représentations les 22, 25 27 & 30 janvier à Strasbourg, les 20 et 22 février 2022 à Mulhouse (La Filature) //www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/the-birds / Diffusion le 10 février 2022 à 19h sur Arte Concert (disponible pendant un an) et sur France Musique le 19 février à 20h
Photo © Klara Beck
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