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« Les Plaisirs du Louvre » par l’Ensemble Correspondances au Théâtre des Jacobins à Dinan – L’intimité en vif-argent – Compte rendu
Quand parut au printemps 2020 l’enregistrement des Plaisirs du Louvre par l’ensemble Correspondances (photo) (1), nous étions, chacun s’en souvient, confinés dans nos espaces intérieurs. Rien ne semblait mieux convenir à la solitude mélancolique du moment que ces airs de cour polyphoniques conçus au XVIIe siècle par Pierre Guédron, Étienne Moulinié, François de Chancy ou Antoine Boesset. « Musique subtile, écrit dans le livret Thomas Leconte du Centre de musique baroque de Versailles, capable d’exprimer toutes les nuances de l’empire amoureux, l’air de cour fut l’un des éléments emblématiques d’une société où “l’honnête homme” s’adonnait à l’art de plaire et de “bien dire” selon les codes précieux de la culture galante. » S’en aller écouter le même programme au cœur de la vieille ville de Dinan (2) – ses murailles fortifiées, ses églises, ses maisons à pans de bois n’étant pas si loin du Paris de Louis XIII – est une autre façon d’en goûter les charmes : plus aérienne, plus aérée, comme si la scène en dissipait les brumes.
Dès le Reine que je sers et que je connais d’Antoine Boësset, le discours est plus allant qu’au disque. Le grain noble des matières instrumentales – flûte, basse de viole, théorbe – introduisant Cesse mortel d’importuner, d’après Pierre Guédron, la saveur des voix de dessus, taille et basse-taille – pour user de la nomenclature du baroque à la française – s’épanouissent dans une clarté naturelle où rien ne pèse. Quand s’élèvent, alternés, le chant de Mathilde Vialle à la basse de viole, le cristal de Caroline Weynants et la pâte de verre de Caroline Bardot dans le Concert de différents oyseaux, c’est une invitation à entendre pour ce qu’il est le texte mis en musique par Étienne Moulinié : un baume de consolation. « Il sort de nos corps emplumez / Des voix plus divines qu’humaines / Qui tiennent les soucis charmez / Et font dormir les peines. »
Il en sera ainsi tout au long du programme : la mélancolie n’y est jamais morbide, elle est un parfum parmi d’autres – Rares fleurs, vivantes peintures, « les plus vives couleurs peintes sans artifice » par la voix d’Élodie Fonnard – dans cette langue dont nous avons perdu la plupart des codes mais dont la musique perpétue l’universel. Antoine Boësset nous fait avec lui – et grâce à l’engagement physique du baryton Étienne Bazola – perdre le repos et les sens. Avec Étienne Moulinié, les appâts de la belle sont ravissants ; Correspondances fait échapper la préciosité au ridicule – « Vous attaignez au cœur / Et tout mortel qui vous contemple / S’en va mourant de peur » – et l’on aurait plutôt envie de danser avec eux tant le rebond rythmique est irrésistible.
Le velouté de la flûte de Lucile Perret adoucit ce que le dessus de viole peut avoir d’acide, il y a du riff et du picking dans le théorbe de Thibaut Roussel, un équilibre d’ornementation sans excès entre les voix de chair et le chant des cordes. Debout devant ses deux claviers, projeté sans cesse vers l’avant, Sébastien Daucé est un chef d’impulsion – ce qui n’a rien à voir avec l’impulsivité. Ce dénicheur patient de trésors dans le silence des bibliothèques devient sur scène un agitateur du théâtre des voix, par le geste, les yeux, le phrasé muet qu’il souffle vers chacun de ses chanteurs. Nos aïeules avaient une expression pour les enfants infatigables : vif-argent ; Sébastien Daucé a conservé quelque chose de cette énergie-là, et le même mercure cascade de pupitre en pupitre, de sourire en sourire. Les amours malheureuses, les éclatantes destinées, les noires forêts qui ne sont pas si sombres que cela, tout ici est effectivement théâtre, qui chante et finit bien.
Didier Lamare
(1) "Les Plaisirs du Louvre", airs pour la Chambre de Louis XIII, Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé (1 CD Harmonia Mundi).
Dinan, Théâtre des Jacobins, 14 octobre 2021
Ensemble Correspondances
www.ensemblecorrespondances.com/
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