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Les Stigmatisés de Schreker à l’Opéra de Lyon - Snuff movie - Compte-rendu
Le grand sujet des Stigmatisés, qui assura son succès autant que sa fabuleuse vêture orchestrale, reste la sexualité. Et sous tous ses angles, conquérante et flamboyante jusqu’au trépas pour Tamare, rédemptrice mais mortelle pour Carlotta, destructrice à force de frustration pour Alviano, déstabilisante et criminogène pour tout l’ordre social.
C’est par le biais du crime, de l’enlèvement, de la séquestration, du viol et du meurtre que David Bösch ouvre son spectacle et titre habilement les fils de l’opéra jusqu’à son terme. Durant le prélude orchestral magique, des avis de personnes disparues défilent jusqu’à ce qu’apparaisse celui de Ginevra Scotti, qu’on retrouvera échappée des quartiers de plaisirs de l’Elysium à la fin du Troisième acte. Alors que s’épanouit la sensuelle exaltation de l’orchestre de Schreker, les images d’un thriller glauque viennent s’y télescoper. Peut importe au fond que rien de la musique de Schreker n’entre ici, puisque son sujet y est déjà tout entier.
David Bösch met un univers de déglingue déjà aperçu dans son saisissant Simon Boccanegra : le palais d’Alviano est un vestige traversé par une ligne électrique, l’atelier de Carlotta un loft sinistre, l’Elysium une butte plantée de rosiers en led à laquelle Alviano préside dans un costume de Mandrake, une trappe mène aux cellules secrètes où les nobles génois – ici trafiquant de drogues et proxénètes – se livrent à leurs assouvissements criminels.
Mais pour radicale que soit la transposition, elle n’en paraît pas moins attendue, en quelque sorte inévitable. David Bösch tire son épingle du jeu en l’assortissant d’une direction d’acteur aussi juste qu’efficace. Sommet, mais dans la retenue, la suggestion, la grande confrontation du II, en fait la plus belle scène lyrique jamais coulée de la plume de Schreker, lorsque Carlotta doit faire le portrait d’Alviano : débordée par son idéal artistique, elle s’illusionne et s’imagine amoureuse de l’homme laid.
La subtile transition qui s’opère dans la psyché de l’artiste passe souvent inaperçu. Magdalena Anna Hofmann, fabuleuse actrice dont on regrette qu’elle n’ait jamais croisé la route de Patrice Chéreau, en révèle les plus intimes modifications. Transformée fatalement en artiste libre un rien punk, elle laisse le déguisement dont l’a affublé David Bösch au placard : ses gestes, ses regards, ses inflexions incarnent toute la complexité du personnage. Qu’elle ne soit pas idéalement le long soprano au timbre aquatique dont rêvait Schreker – en fait celui de son épouse Maria que retrouva comme par miracle Anne Schwanewilms à Salzbourg – importe peu devant un tel pouvoir de suggestion.
Charles Workman est autrement à la peine pour Alviano, encombré par son grand physique qu’il plie tant bien que mal au personnage contrefait, et confronté à une tessiture qui le meurtrit d’autant plus que rien dans son timbre n’évoque le ténor italianisant que Schreker avait pour partie en tête. Simon Neal roule un peu trop les mécaniques de son Tamare, beau gosse en blouson de cuir, mais comment lui en vouloir ? Les comprimari sont tous excellents, les chœurs fastueux, mais c’est d’abord l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui triomphe, mené grand train par Alejo Pérez. Dès le crescendo du Prélude, tenu jusqu’à l’implosion, on savait que la création scénique en France des Gezeichneten avait trouvé son magicien.
Jean-Charles Hoffelé
Schreker : Les Stigmatisés – Lyon, Opéra, le 13 mars, prochaines représentations les 17, 20, 22, 26 et 28 mars 2015.
Photo © Bertrand Stofleth
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