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L’Isola disabitata de Haydn à l’Opéra de Dijon – Pauvres petites filles riches – Compte-rendu
Une jeune femme en robe du soir, comme prête à se rendre à l’opéra, prend son tube de rouge à lèvres et inscrit sur son miroir, puis sur une vitre, le nom du perfide qui la délaisse. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé : sa rêverie la transporte dans une île déserte, où c’est désormais sur un bloc de pierre qu’elle cherche à graver cette accusation d’abandon. Tel est le point de départ choisi par Luigi De Angelis pour sa mise en scène de L’isola disabitata (1779) de Haydn, et c’est sans doute une des solutions possibles pour traiter le livret invraisemblable de Métastase : à la suite d’un naufrage, Costanza et sa petite sœur Silvia sont restées seules sur une île, tandis que Gernando, l’amant de l’aînée, qu’elle croit infidèle, était enlevé par des pirates ; treize ans après, Gernando revient à la recherche de sa belle, accompagné de son ami Enrico. Evidemment, tout finira par un double mariage, cette intrigue ô combien prévisible étant un peu pimentée par le côté « bon sauvage » de Silvia qui, comme la Miranda de Shakespeare, n’avait encore jamais vu ni navire ni homme avant l’arrivée des deux visiteurs.
Malgré le remplacement du recitativo secco par des récitatifs accompagnés, Haydn peine à maintenir en éveil l’intérêt de l’auditeur. Au bout d’une heure et demie, avec seulement sept airs dénués de la virtuosité de l’opera seria, et un quatuor final, c’est la musique purement instrumentale qui l’emporte, l’ouverture et le prélude du deuxième acte contenant à eux seuls autant de vie dramatique que le reste, sinon davantage, avec des choix de timbres et de rythmes bien plus intéressants. A moins qu’il ne faille à la tête de l’orchestre un Harnoncourt, qui avait jadis si bien su insuffler vie à L’anima del filosofo ou à Armida. Qu’aurait donné Leonardo García Alarcón s’il avait pu aller jusqu’au bout des répétitions avec cet orchestre formé de jeunes issus de différents établissements de formation (1) ? Mystère, mais son remplaçant, Fayçal Karoui, ne fait pas de miracles, et ce n’est pas encore cette fois que Haydn s’imposera au répertoire comme compositeur lyrique.
Si L’isola disabitata est malgré tout programmée de temps à autre, c’est parce qu’avec seulement quatre solistes vocaux, l’œuvre présente des exigences limitées et se prête à l’interprétation hors des grandes salles d’opéra. A de jeunes chanteurs, elle ne pose aucune difficulté insurmontable : l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris l’avait d’ailleurs déjà mise à l’affiche en 2005, dans une mise en scène alors signée Dominique Pitoiset, désormais directeur de l’Opéra de Dijon, ceci expliquant peut-être cela. Rebaptisée Académie, la même institution reprend ce titre une quinzaine d’années plus tard, en coproduction avec le festival de Ravenne. Le baryton Yiorgo Ioannou s’acquitte très correctement de son unique air, et le ténor Tobias Westman fait valoir de joli couleurs mozartiennes dans ses deux interventions. Du côté des voix féminines, on s’étonne de lire dans le programme que, selon Leonardo García Alarcón, Costanza serait destinée à une mezzo et Silvia à une soprano, car ce n’est pas vraiment ce que l’on entend. Les deux sœurs ont des voix assez distinctes, mais Ilanah Lobel-Torres semble avoir un timbre plus léger qu’Andra Cueva Molnar, malgré d’appréciables réserves dans le grave pour l’une comme pour l’autre. On regrette un peu que ces jeunes artistes ne se voient pas toujours offrir des choses bien passionnantes à faire sur scène (Costanza passe un de ses trois airs à caresser une perruque), la mise en scène se reposant en grande partie sur la séduction des projections vidéo.
Laurent Bury
Haydn : L’Isola disabitata – Opéra de Dijon (Auditorium), 27 novembre 2021
Photo © Miro Magliocca
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