Journal
L’Opéra Comique et ses trésors au Centre National du Costume de Scène de Moulins - Trois cents ans d’enchantement
En cette année où l’Opéra Comique fête ses trois cents ans, c’est toute l’aventure de Jérôme Deschamps salle Favart qui se trouve exaltée dans cette exposition aussi charmeuse que didactique, menée avec l’humour que dispense le lieu dans toutes ses manifestations et sans lequel il ne serait qu’un touchant cénotaphe : humour que Deschamps a lui aussi su exploiter au cours de ses huit années de direction, car le respect de ce type de patrimoine, pour si précieux qu’il soit, n’est valide que s’il se double d’un regard ludique. La Comédie humaine, si bien croquée par Grandville dans ses savoureuses figures animalières, a trouvé en Jérôme Deschamps un observateur aussi tendre que pointu, et là encore la fine scénographie de l’exposition, due à Macha Makeïeff, la place sous le signe de cette impertinente basse-cour dont ils ont fait leur emblème à l’Opéra Comique.
Quand on a la chance de visiter les coulisses du CNCS, établi dans le splendide Quartier Villars à Moulins, on découvre les bonnes fées qui œuvrent pour ces trésors aussi essentiels à notre culture que fragiles et apparemment futiles, Delphine Pinasa en premier, directrice et conservateur du Centre, cernée d’une équipe passionnée et engagée jusqu’au plus petit bout de ruban , notamment dans l’ouverture de ces lieux à la jeunesse par le biais de multiples manifestations et objets proposés en boutique. Quant à Agnès Terrier, dramaturge et complice de toujours de Jérôme Deschamps à l’Opéra Comique, et ici commissaire de l’exposition avant d’enchaîner sur celle qui s’ouvrira bientôt au Petit Palais, encore pour le tricentenaire de l’Opéra-Comique, De Carmen à Mélisande, elle est une véritable encyclopédie et un guide vibrant de ce monde où la vie frétille.
Quant on pousse simplement la porte, on tombe très vite sur Barbe Bleue suspendu au dessus des escaliers, prêt à chuter. Bien fait pour lui ! Car ici, pour conter cette histoire de tréteaux qui est le reflet de la vie de trois siècles, les héroïnes sont reines, petites femmes et courtisanes comme Manon et Giuletta des Contes d’Hoffmann, fatales comme Carmen, figures de rêves lointains, comme Lakmé, princesses de légende avec Mélisande, petite maraîchère comme Ciboulette, monstre aux deux visages pour les Mamelles de Tirésias.
En huit vitrines aux tons subtils, rehaussées de quelques accessoires animaliers pour les réchauffer (tigre ou chouette), paradent les plus beaux costumes, les plus parlants que l’on a pu trouver dans la collection du CNCS et de l’Opéra Comique pour raconter l’histoire de ce monde né du Théâtre de Foire, brimé par Louis XIV parce qu’il avait osé moquer Madame de Maintenon : privé de parole, il en fut réduit aux écriteaux ! Mais vint Justine Favart, qui donna plus de vérité et d’assise au genre, notamment en imposant des costumes en adéquation avec les personnages, chose qui jusqu’alors n’avait guère cours, pour étrange que cela nous paraisse aujourd’hui ! Malheureusement il n’y a ici aucun costume qu’elle ait vraiment porté, car à l’époque, ces artistes couraient le monde avec leurs propres malles, ce qui exclut de les retrouver dans les caves de quelque théâtre. En gravissant le grand escalier, on les croise, ces petites gens pleins d’imagination et d’esprit, bourrés d’idées et de talent dans le miroir qu’ils tendaient à leurs contemporains, avec des malles, des accessoires, des textes, des portraits. Là où l’on respire encore l’odeur des coulisses.
Puis place aux grandes tenues, fameuses ou typées, suivant le style, la signature ou le souvenir de divas qui les ont marquées, de la Vengeance de Clayette pour Zoroastre en 1964 à la Dulcinée de Don Quichotte, costumée par Marcel Mulzer en 1924, de la chatoyante parure de Nathalie Dessay pour Lakmé en 1995, d’Yvonne Sassinot de Nesle, à l’irréelle robe électrique imaginée en 2011 par Alain Blanchot pour Cendrillon de Massenet. Somptueux manteau du Hulla, de 1938, signé Régamey Félix. On imagine Grace Bumbry en 1975 dans sa robe d’Ariane, signée Jacques Dupont, dans l’œuvre de Paul Dukas, on réentend June Anderson dans son pourpoint de la Fille du régiment, dessiné en 1986 par Bernard Arnould, d’autant que bien évidemment des écrans apportent un contrepoint sonore à la visite avec des vidéos de spectacles fameux comme le Carmen monté avec Anna Caterina Antonacci en 2009.
Authentiques trésors sur lesquels veille notamment l’Atelier de l’Opéra Comique, reconstitué pour la circonstance. Y prennent place à côté des bobines et autres aiguilles, de grandioses parures à restaurer, jamais identifiées, comme une cape aux riches motifs héraldiques, qui ajoutent du mystère à ce passé rattrapé par les pans de l’habit brodé. Enfin, dans la grande salle sur laquelle se clôt l’exposition sur fond de silhouettes croquées par Grandville et qui offrent un florilège des récentes productions de la salle Favart, le rêve continue, et il donne à rire ou à sourire. Quoi de plus sain ! Le Théâtre de l’Opéra Comique a raconté et montré la vie, souvent quotidienne, avant de passer la main aux divas surplastronnées de la grande époque postromantique : on en prend conscience en voyant le menu tour de taille des costumes portés par Ciboulette ou La Fille de Madame Angot. La comédienne d’Opéra Comique se devait d’être vraie, et donc jolie, ou tout au moins charmante ! Loin des folles grandeurs de l’Opéra.
Jacqueline Thuilleux
Moulins sur Allier, CNSM. L’Opéra Comique et ses trésors, jusqu’au 25 mai 2015. www.cncs.fr
A venir, Paris, Petit Palais, De Carmen à Mélisande, drames à l’Opéra Comique, du 18 mars au 28 juin 2015. www.petitpalais.paris.fr
Photo © CNCS/Pascal François
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