Journal
L’Orchestre Français des Jeunes à Lille – Donner le meilleur de soi – Compte-rendu
Chaque année, la majeure partie des troupes de l’OFJ est renouvelée, mais c’est toujours avec un grand bonheur que l’on prend le chemin d’un de ses concerts. Par-delà les « crus » et les directeurs musicaux, on est immanquablement conquis par le désir des jeunes musiciens de donner le meilleur d’eux-mêmes. Fabien Gabel est le chef idoine dans ce contexte ; la soirée lilloise recueille les fruits du travail et de l’engagement d’instrumentistes dont les moyens et la musicalité en disent long sur le niveau de l’enseignement dispensé dans nos conservatoires, supérieurs d’abord, mais pas uniquement. En disent long aussi sur la profonde évolution des mentalités au sujet du métier de musicien d’orchestre - l’OFJ y a beaucoup contribué depuis sa création en 1982.
Quelle chance les stagiaires de la session 2018 auront-ils eue de prendre part à l’exécution de Crimson (2015), pièce pour grand orchestre de Samy Moussa ! Né à Montréal en 1984, le compositeur est ardemment défendu par des chefs tels que Kent Nagano ou Fabien Gabel. On les comprend. Autant le mot français cramoisi ne faire guère frétiller l’imagination, autant crimson, son équivalent anglais, a-t-il séduit Samy Moussa par le mystère qu’il recèle. Grand lecteur de William Blake – l’une des clefs de son univers poétique – le compositeur canadien signe un ouvrage qui, entre l’éclat des premières mesures et l’abyssal et ténébreux dépouillement de la conclusion, révèle un fabuleux art de coloriste. De puissants agrégats ici, de subtils et oniriques poudroiements de timbres là ; avec une fluidité parfaite, une sensualité et un relief que les musiciens et leur chef soulignent à merveille, tout un monde, prégnant et secret, s’ouvre à l’auditeur. Admirable !
Beau prélude au Concerto n° 2 pour violon de Bartók qui résonne ensuite sous l’archet de Nicolas Dautricourt. L’Allegro ma non troppo, d’une souple liberté, donne le ton d’une conception poétique et décantée. Le soliste joue avec les riches couleurs de l’orchestre dans un Andante tranquillo extrêmement fouillé - dont la précision de l’acoustique du Nouveau Siècle permet d’apprécier toutes les nuances. Aucun tape-à-l’œil, aucune effet facile dans l’Allegro molto final, mais une virtuosité sublimée, qui peut surprendre des oreilles habituées à plus d’extraversion mais reflète des choix interprétatifs cohérents et pleinement assumés.
Le mot de la fin revient à Tchaïkovski et sa Symphonie n° 4, ouvrage archi-connu, certes, mais formateur ô combien ! pour des instrumentistes tels que ceux de l’OFJ. Pour parler familièrement, il y a du boulot à tous les étages dans l’Opus 36 et les musiciens relèvent le défi haut la main ! D’un geste sobre et ferme, Gabel concentre et guide la fougue de ses jeunes troupes. Être parvenu en quelques semaines à pareille homogénéité des cordes force l’admiration (quel Scherzo !). Pas moins convaincants les cuivres et l’harmonie témoignent d'une grande maîtrise, tant globale qu’individuelle (hautbois et basson magnifiques dans l'Andantino). Certes, ici ou là, de petits détails, quelques vénielles scories montrent que l’on est encore en train d’apprendre, de grandir, mais telle est bien la mission de l’OFJ – accomplie au plus haut niveau comme le prouve un concert de très haute tenue.
Du 4 au 13 décembre, la session d’hiver réunira les musiciens et leur chef à Compiègne dans un programme non moins exigeant et "nourissant" : Prélude de l’Acte I des Meistersinger de Wagner, Chant du Rossignol de Stravinski, La Mer de Debussy et, avec Petra Lang en soliste, des lieder de Strauss et – plus inattendu – de Clemens Krauss (4 Lieder sur des poèmes de Rilke dans l’orchestration, en création, de Michael B. Weiss). Rendez-vous à Compiègne (8 /12), Clermont-Ferrand (11/12) et à la Philharmonie de Paris (13/12).
Alain Cochard
(2) www.concertclassic.com/article/55e-concours-de-jeunes-chefs-dorchestre-de-besancon-une-passionnante-finale-compte-rendu
Lille, Nouveau Siècle, 7 septembre 2018-09-10 / www.ofj.fr/fr/accueil.html
Photo © Ugo Ponte
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