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Lucio Silla à la Seine Musicale – Boulogne après Nanterre – Compte-rendu
Enfin, pas tout à fait, puisque la version semi-scénique conçue par Rita Cosentino a été présentée en 2016 à la Philharmonie : c’est celle-là même qui revient, cinq ans après, à la Seine Musicale. Semi-scénique car, si les personnages y portent des costumes (modernes et très sobres), le chœur forme l’arrière-plan d’un décor limité à cinq éléments mobiles, panneaux associant tableau noir et grillage, et qui peuvent aussi se changer en miroir ou en portrait de victimes de la dictature. On avouera que leur utilisation comme ardoise pour écrire des messages à la craie n’apporte vraiment pas grand-chose à l’action, et que l’action des conspirateurs semble un peu puérile si elle se borne à biffer ou raturer le nom de Silla. Malgré tout, il est vraisemblable que les déplacements des personnages et les gestes exprimant leurs sentiments aident le public à suivre ces trois heures de musique.
Trois heures, et pourtant des coupes ont été pratiquées dans la partition : quatre numéros manquent à l’appel, ce qui entraîne notamment la disparition pure et simple du personnage secondaire d’Aufidio, conseiller de Silla. Quant au fait que Mozart « bouscule les canons de l’opera seria », comme l’affirme Laurence Equilbey dans une note d’intention, et que Lucio Silla serait ainsi le « précurseur de l’esthétique romantique », ce n’est pas forcément ce que sa direction donne à entendre, l’Insula Orchestra optant pour une interprétation plutôt sage de cette musique où le compositeur ne parvient que rarement à échapper aux conventions du genre. Si l’air de Cecilio au début du deuxième acte traduit une véritable folie du personnage, on n’entend guère d’emportement ou de fièvre dans l’accompagnement instrumental de l’air de Giunia qui vient aussitôt après, « Ah se il crudel periglio », qui annonce un peu le « Martern aller arten » de L’Enlèvement au sérail.
C’est sur les épaules des chanteurs que se reporte surtout l’intérêt, ce qui est assez prévisible dans un opéra où les arias sont longues, parfois très longues. Pas tellement pour le rôle-titre, que Mozart dut abréger faute de disposer de l’interprète adéquat. Habitué à Puccini et à Verdi, Alessandro Liberatore a ici à déclamer surtout, et les difficultés dont sont hérissés les airs des autres personnages lui sont épargnées. Chiara Skerath maîtrise parfaitement cette virtuosité indispensable, et l’on regrette que les airs de Cinna aient au fond peu inspiré le compositeur, qui prête des accents déjà plus intéressants à Celia, la sœur du tyran : on retrouve Ilse Eerens et ses aigus cristallins dans un rôle que la production de Tobias Kratzer à Bruxelles rendait assez inquiétant, mais qui redevient ici plus « normal ». Le couple central est naturellement celui sur qui se focalise l’attention. Bien qu’habituée à Olympia et à la Reine de la Nuit, Olga Pudova n’est pas un simple rossignol, et tout en effectuant les acrobaties insensées que Mozart lui impose, elle sait aussi donner une réelle épaisseur à Giunia. Quant à Franco Fagioli, il était inévitable qu’après Sesto et Idamante, il aborde cet autre rôle conçu pour une voix de castrat : ses trois airs sont des sommets, tant dans la douceur (« Pupille amate » et la délicatesse de ses pianissimi) que dans les plus extravagantes vocalises, avec parfois des descentes jusqu’à un grave franchement barytonnant. Ne serait-ce que pour lui, on se réjouit d’apprendre qu’un disque est prévu, à paraître chez Erato en mars prochain.
Laurent Bury
Photo © Marie Guilloux - Squaw Films
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