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Lyon - Compte-rendu : Nouvelle chance pour le Rake’s Progress
L’Opéra de Lyon aime le Rake’s Progress, le donnant encore en français (et avec son titre quasi original, Le Libertin) en 1971, puis confiant en 1995 à Alfredo Arias une nouvelle production dont on n’a pas oublié la terrible fantaisie.
Robert Lepage n’a pas mis ses pas dans les traces brillantes et sombres de l’Argentin. Il a pris un biais surprenant : s’appuyant sur la longue carrière américaine de Stravinsky – de fait le Rake’s Progress fut écrit aux States − il en transpose l’action dans le Middle West. Pourtant rien n’est plus européen que sa musique qui propose une synthèse brillante de l’opéra, du baroque à l’apogée du bel canto. Mais le changement de cadre ne nuit par ailleurs pas à l’inaltérable logique et au propos moraliste voulu par Auden autant que par Stravinsky.
Adieux donc Hogarth, bonjour saloon-bordel, luna park à l’abandon, caravane (gonflable et inénarrable), adieu salle des ventes, bonjour piscine (avec un charmant nageur). Cette translation en Lepagie est réjouissante, et les trouvailles vidéographiques de Boris Friquet (ce ciel immense qu’entraînent ces nuages filants, cette ville qui s’écarte dans le sillage de la voiture d’Anne), les accessoires de Patricia Ruel, si poétiques (la maison de Trulove, miniature, le lit de Mother Goose où l’on disparaît pour de bon), donnent un peu d’air à cette action implacable. Il y aurait presque du Tour d’écrou dans le Rake’s Progress si la chronologie ne s’opposait pas à cette influence qu’elle rend impossible – à l’inverse on ne peut pas prétendre qu’il y ait un gramme de Rake’s Progress dans The Turn of the screw, impossible concordance du temps. Il y aurait si justement Alexander Lazarev tenait ferme les rouages d’une mécanique que l’on avait jusqu’à lui toujours entendue plus affûtée, et en particulier in loco par Nagano. Oui, mais voilà, Lazarev ne l’entend pas comme cela. Il poétise son Rake’s Progress, en souligne les nombreuses musiques tristes, vraiment tristes, comme abandonnées et tout entières portées par l’unique nostalgie.
Cette façon donne la primauté à Anne Trulove, dont les vastes arias sont en effet toujours entre désertification et espoirs qu’on sent vains. Et dans ce sens très particulier du personnage, Laura Claycomb s’avère bouleversante, d’une nostalgie qui est l’armature même de sa musique. Si on a connu des Tom plus torturés et surtout plus poètes dans leur folie, comment oublier Bostridge ici, Darren Jeffrey joue bien le côté benêt du personnage, celui qu’on va flouer, ce soldat de L’Histoire du Soldat qui est – intra Stravinsky – le partiel modèle de Tom, Auden ne l’a en effet pas cherché très loin. Mais cette santé (du chant et du physique), cette absence de complication lui font les trois quarts du rôle très naturels, aisés en somme.
A Bedlam, il lui manque la vraie folie, ce retour en quasi-enfance. William Shimell avoue la longue route qu’il a parcourue avec Nick Shadow : voici douze ans à Lyon le Diable c’était déjà lui. Toujours aussi élégant, bien chantant, un peu trop lisse peut-être dans sa fureur lorsque Tom le déjoue. Mais la longue fréquentation d’un rôle force souvent le chanteur à habiter naturellement son personnage, au point d’en faire moins saillir les extérieurs. Formidable Baba de Peckova, humaine, grondeuse et tendre, jolie – et sexy – Mother Goose de Juliane Young, avec une sorte d’élégance qu’on met peu à ce rôle. Selem un peu terne de Eberhard Francesco Lorenz, aux enchères un rien molles, surtout si l’on a dans l’oreille celles acides, d’Hugues Cuénod, le créateur il est vrai.
Soirée assez triste au fond, ce qui n’est pas négatif. La courbe descendante du libertin, son envers de morale, avec cette jolie concession d’Auden aux femmes envisagées comme notre seul recours, plutôt étonnante lorsqu’on connaît le personnage, vont contre la légende de théâtre brillant et de musique plutôt futile – pastiche disent les musicologues – qui colle encore aux basques du Rake’s Progress que nombres de théâtres semblent redécouvrir : Nantes, Bastille, les Champs-Elysées l’ont inscrit à leurs prochaines saisons.
Jean-Charles Hoffelé
Opéra de Lyon, le 30 mai 2007
Le programme détaillé de l’Opéra de Lyon
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Photo : DR
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