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Manfred Honeck dirige l’Orchestre du Festival de Verbier - Vigoureux - Compte-rendu
Avec son bouquet de stars et de monstres sacrés, le Festival de Verbier prend peu de risques. Malgré l’annulation de James Levine, souffrant, qui devait ouvrir les réjouissances - on se souvient que c’est lui qui fut à la baguette lors de la création du Verbier Festival Orchestra en 2000 -, le carnet d’adresses de Martin Engström lui a fait dérouler cette année encore un véritable tapis rouge : outre la présence impromptue d’Esa- Pekka Salonen pour remplacer Levine, on peut y applaudir les Di Donato, Gergiev, Pressler, Sokolov, Mork, Capuçon (Renaud et Gautier), Bhuniatishvili, sans parler de Zubin Mehta (1), lequel dirigea le premier concert de l’histoire du festival, et d’un foisonnement de chambristes avec en tête le seigneurial Quatuor Artemis.
Défilé somptueux qui ouvre la porte à l’émotion, ainsi l’hommage rendu par Gergiev à la diva Maïa Plissetskaïa, décédée en mai et que l’on voyait régulièrement au Festival au bras de son mari Rodion Shchedrin, joué cette année encore, ou le généreux coup d’envoi donné à une autre carrière pour Thomas Quasthoff, levant la baguette pour La Passion selon Saint Matthieu .
Richesse des moyens n’empêchant pas cette fois l’inventivité, Engström peut se permettre de défricher, de proposer de nouveaux talents, l’âme de son festival étant la jeunesse, celle de ce formidable Verbier Festival Orchestra, constitué de musiciens de 19 à 29 ans venus du monde entier, renouvelés pour un tiers chaque session, et que font travailler pendant trois semaines des membres de l’Orchestre du Metropolitan Opera de New York, avant de les laisser entre les mains de chefs illustres pour quelques concerts mémorables, tant l’engagement y est palpable.
Behzod Abduraimov et Manfred Honeck © Aline Paley
Des perles, des pépites sont donc à recueillir chaque année : cette fois la flèche visait les noms de Béatrice Rana, pianiste italienne déjà adulée, du tout jeune Daniel Lozakovitj, visage d’enfant asiatique et archet conquérant, et de l’Ouzbek Behzod Abduraimov, à la carrière déjà très active. C’est dans le 2ème Concerto pour piano de Prokofiev qu’on l’a découvert, sous la houlette de Manfred Honeck, quittant cette fois son Orchestre de Pittsburgh. Légère déception malheureusement pour le brillant virtuose : des doigts de velours, une agilité déconcertante, mais un certain manque de punch, ou plutôt de son, qui ne s’épanouissait guère, même dans l’explosif dernier mouvement. Délicat, raffiné, on aimerait l’entendre dans Ravel ou Debussy, alors que Prokofiev, lui, impose de faire éclater son énergie, sa jubilation. Enfant prodige depuis huit ans, âge auquel il a commencé à donner des concerts, Abduraimov a sans doute besoin d’affirmer sa personnalité et de sortir de sa gangue.
Le reste du concert était de nature à réveiller les plus fatigués, Manfred Honeck ayant la baguette plus qu’impérieuse. Sa Suite du Chevalier à la Rose de Strauss fut enthousiasmante, par l’exploration des sonorités chatoyantes et bigarrées, la mise en place de chaque touche instrumentale, pour se clore en exaltante apothéose. On a moins aimé la 8ème Symphonie de Dvořák à laquelle faisait défaut l’un des éléments majeurs de la palette du tchèque, le charme : Honeck, impeccable directeur et analyste, a à l’évidence voulu faire travailler au maximum les jeunes musiciens de l’Orchestre de Verbier pour leur éviter la moindre faiblesse. Le résultat était d’une éclatante clarté, d’une rythmique féroce, mais on n’y rêvait guère. Le chef se permet sans doute plus de tendresse et de liberté avec son Orchestre de Pittsburgh. Mais il lui a fallu aussi lutter avec les éléments déchaînés, tandis que la pluie cognait sur le toit de la salle des Combins, obligeant les musiciens à un sursaut de combattivité !
Jacqueline Thuilleux
(1) Mehta dirige sa chère « Résurrection » de Mahler le 29 juillet (19h, salle des Combins)
Verbier, salle des Combins, le 26 juillet 2015.
Festival de Verbier, jusqu’au 2 août 2015 www.verbierfestival.com
Photo © Aline Paley
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