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Manon Lescaut de Puccini à Montpellier - Vers l’abîme - Compte-rendu

Cette Manon Lescaut, on le sait, n’a pas les grâces touchantes et langoureuses de celle de Massenet, qui l’avait traitée en amoureux, dix ans plus tôt. Puccini, lui, la dessine plus tranchante et plus dure, plus tragique. Les ressorts de l’émotion ne sont ici pas les mêmes, et les glissements d’âme deviennent de violents cris de passion. Pour sa première grande œuvre- non chef d’œuvre - Puccini a ici trouvé ses axes, lui manque juste le frémissement psychologique et émotionnel qui rendra La Bohême ou Madame Butterfly si bouleversantes.

Jean Paul Scarpitta, épris des mouvements de l’âme féminine, plus que de la critique sociale, trouve ici une héroïne qui l’inspire, et sa Manon se déroule comme la vision implacable d’une destinée fatale. Sombre héroïne dès son entrée, malgré sa jeunesse, Manon ne minaude à peu près jamais sauf lorsqu’elle parade aux côtés de son vieux beau de protecteur. Décors très sobres, quand il y en a, et que l’on n’est pas juste confronté à un fond noir qui ne tient plus compte de l’anecdote mais seulement de la marche à la mort. Les touches de lumière ou d’humour viennent juste du brillant des costumes, de l’énormité des perruques (à la belle poule et frégate, à vrai dire plus répandues sous Louis XVI que Louis XV !), et non de l’âme des héros, et opposent heureusement la vivacité des arlequins qui gambadent sur scène à la tension du drame.

En fait, et c’est la touche très marquée du metteur en scène, tout est ici plus atmosphère que mouvements scéniques, avec certaines scènes particulièrement aigues qui étreignent par leur force cruelle autant que sobre: ainsi le défilé des malheureuses appelées à monter sur le navire qui les emmène aux Amériques, se traînant en une ronde lancinante.

A une telle Manon tracée au pinceau noir, il fallait une voix sombre et dramatique : celle de la hongroise Csilla Boross, avec laquelle Scarpitta s’est familiarisée dans le Nabucco qu’il a monté à l’Opéra de Rome en mars dernier, sous la direction de Muti, est d’une puissance et d’une sûreté impressionnante, même si son jeu manque de mobilité. Son partenaire madrilène Enrique Ferrer, en revanche, bouge pour deux, avec une fougue sympathique que la pratique de la zarzuela a sans nul doute développée chez lui. Mais ses aigus ne sont guère acceptables, tandis que le timbre n’émeut guère. Et comme le disaient quelques montpelliérains : « il est déjà baryton ».

Quant au jeune chef américain Robert Tuony, chef assistant à l’Opéra et à l’Orchestre national de Montpellier Languedoc- Roussillon depuis 2009, on a apprécié la vigueur de sa direction, sa force expressive plus que son lyrisme. Décidément tout s’accordait à la vision subtilement dépouillée metteur en scène, à quelques exceptions près et le reste du plateau était remarquable en tout point, du Lescaut de Marc Barrard au Géronte de Manrico Signorini, pour une Manon Lescaut proche de La Traviata montée l’an passé, ici même, par le même metteur en scène : sœurs d’abîme.

Jacqueline Thuilleux

Puccini : Manon Lescaut – Montpellier, Opéra Berlioz-Le Corum, le 8 juin 2011.

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Photo : D. R.
 

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