Journal
Marc Chagall, le triomphe de la musique - Soleil intérieur
Elevé à la fin du XIXe siècle dans la communauté juive de Vitebsk, une ville moyenne de Bielorussie, Chagall a baigné dès son enfance dans la musique, pratiquant le violon, joignant sa voix (de soprano) à celle son grand-père, chantre à la synagogue. Cette passion l'habitera jusqu'à la fin de sa vie, comme en témoigne la salle de concert qu'il fit édifier en 1973 dans son musée du Message biblique (aujourd'hui musée Chagall) à Nice.(1)
Marc Chagall, esquisse préparatoire pour le Plafond de l’Opéra de Paris, 1963. Pastel, encre de Chine et crayons de couleurs sur papier. Collection particulière
©ADAGP, Paris, 2015 - CHAGALL ®
Ministre de la culture dès le premier gouvernement de la Cinquième République, André Malraux ne se trompait donc pas en choisissant, pour travailler à Garnier, cet ancien compagnon de route des grands poètes surréalistes — Apollinaire, Blaise Cendrars, Max Jacob, Paul Eluard. La tâche était aussi ambitieuse que périlleuse : réaliser une toile circulaire de 220 m2, se substituant aux allégories d'origine (laissées en place), d'une fadeur très Puvis de Chavannes.
L'inauguration, le 23 septembre 1964, rallume l'éternelle querelle des anciens contre les modernes — comme récemment l'introduction d'œuvres de l'Américain Jeff Koons au château de Versailles ! Il aurait mieux valu saluer le respect avec lequel le peintre illustre l'histoire de la musique et le répertoire lyrique — l'exposition parisienne permet d'ailleurs de l'apprécier dans le détail. Divisé en cinq zones colorées, le nouveau plafond rend hommage aux compositeurs d'opéras et de ballets les plus célèbres (le vert pour Wagner et Berlioz, le bleu pour Moussorgski et Mozart, le rouge pour Ravel et Stravinsky…) ; même Rameau trouve place dans ce panthéon pictural, alors qu'à cette époque, ses tragédies lyriques dorment dans un profond oubli ! Quant aux personnages (anges musiciens jouant du violon ou soufflant dans un shofar, couples d'amants enlacés) et au bestiaire (ânes et chèvres, oiseaux et poissons évoluant de conserve), ils flottent en apesanteur, comme toujours dans l'univers aérien du peintre — sans être surpris de marcher au plafond …
Izis, Marc Chagall travaillant aux panneaux du Metropolitan Opera de New York : Le Triomphe de la musique, atelier des Gobelins, 1966
© Adagp, Paris 2015. Photo Izis © Izis-Manuel Bidermanas
Ne peignant plus, désormais, que dans les grandes largeurs, Chagall déclare : « Je cherche un grand mur ». Il le trouve en 1966 au Lincoln Center de New-york, où le Metropolitan Opera vient d'emmenager. Son directeur, Rudolph Bing, commande au peintre deux fresques pour le hall d'entrée : Les sources de la musique, et Le Pouvoir de la musique. Mieux, l'année suivante, il lui confie les décors d'une nouvelle production de La Flûte Enchantée, dirigée par Joseph Krips. Chagall voue un culte à la musique de Mozart, comme en témoignent, notamment, l'invention et la fantaisie qu'il apporte à la réalisation des costumes (parmi ceux exposés à Paris, celui du Papageno d'Hermann Prey, tacheté de plumes d'oiseau multicolores, et celui de la Reine de la nuit, sombre fourreau en patchwork moulant la silhouette de Lucia Popp). Au même moment, à la demande du Covent Garden de Londres, Oskar Kokoschka, ancienne figure turbulente de l'expressionnisme viennois, un temps compagnon d'Alma Mahler, travaille à la craie de couleur sur un projet de mise en scène de La Flûte enchantée, dans le même esprit de joie et de juvénilité.
Projet pour le rideau de scène de L’Oiseau de feu 1945 Gouache, encre de Chine, pastel, crayons de couleur et papier doré collé sur papier contrecollé sur carton.
Collection particulière. ©ADAGP, Paris, 2015 - CHAGALL ®
A partir des années 1960, Chagall puise essentiellement son inspiration dans la bible. Occasion rêvée, pense alors Rolf Liebermann, en poste à l'opéra de Hambourg, pour demander au peintre de participer à la production scénique d'une nouvelle œuvre d'Igor Stravinsky, Le Déluge (The Flood), achevée en 1962. Commandé à l'origine par la télévision américaine, ce « jeu musical », mi-ballet, mi-oratorio, met en scène Noe, ses fils, l'arche et les animaux, ainsi que Dieu et Lucifer … Mais c'est compter sans la rancune tenace du musicien, qui n'avait guère apprécié les décors du peintre pour son ballet L'oiseau de feu, monté aux Etats-Unis en 1945. On imagine mal, en effet, la naïveté fleur-bleue de Chagall s'accorder à l'ironie glacée de Stravinsky. Malgré des rendez-vous arrosés de Dom Pérignon, le champagne favori du compositeur, celui-ci s'entête dans son opposition, assortie d'un péremptoire et vachard : « Je ne veux pas de décors de ce con ! ». La belle exposition de la Philharmonie fait regretter ce refus.
Gilles Macassar
"Marc Chagall, le triomphe de la musique"
Exposition à la Philharmonie de Paris, jusqu'au 31 janvier 2016
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/16300-marc-chagall-le-triomphe-de-la-musique
"Marc Chagall, les sources de la musique" - La Piscine, 59100 Roubaix, jusqu'au 31 janvier 2016
www.roubaix-lapiscine.com/expositions/a-venir/marc-chagall-sources-de-musique/
Chagall et la musique, catalogue des deux expositions,
par Ambre Gauthier et Meret Meyer, Gallimard, 360 p., 45 €
Chagall et la musique, par Ambre Gauthier, Gallimard, coll. Découvertes, 48 p., 8,90 €
Photo de titre : Marc Chagall, Esquisse définitive pour la peinture murale du Metropolitan Opera, Lincoln Art Center, New York : Le Triomphe de la musique, 1966 Tempera, gouache et collage sur papier marouflé sur papier coréen. Collection particulière ©ADAGP, Paris, 2015 - CHAGALL ®
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