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Marie-Antoinette (en création versaillaise) par le Malandain Ballet Biarritz – Charme douloureux d’un monde enfui – Compte-rendu
Que de chemin parcouru pour le chorégraphe depuis son prodigieux Ballet Mécanique, de 1996, dix ans après la création de sa petite compagnie Temps présent : une merveille d’habileté chorégraphique, où Thierry Malandain s’affirmait comme le pire des rebelles, celui qui ne cherche pas à choquer mais provoque, trouble tout en gardant fidélité à son héritage ! Un chemin d’homme seul, d’homme libre, qui a fini par vaincre les résistances de ceux qui n’obéissent qu’à des canons, que ce soit de modernité ou de tradition. Aujourd’hui on s’incline devant ce talent finalement un peu étrange, qui a su se garder des modes. Au point qu’une institution aussi sacrée que l’Opéra Royal de Versailles lui confie son superbe cadre sans crainte : Cendrillon en 2013(1), La Belle et la Bête en 2015(2), tout un univers de contes à la fois cruels et enchantés ont ici laissé leur marque, grâce à sa vision fine, au scalpel plus qu’au pinceau.
© Olivier Houeix
Et voici le pire des contes : celui, vrai, d’une innocente enchanteresse victime de sa grâce légère, et du poids de l’histoire. Avec Marie-Antoinette, présentée ici dans ses propres murs puisqu’elle a été commandée par l’Opéra Royal – lequel fut d’ailleurs inauguré pour le mariage du futur Louis XVI avec l’archiduchesse d’Autriche – Malandain s’éloigne des thèmes qui lui sont plus familiers, pour toucher au grand drame français. Et il triomphe avec habileté des chausse-trapes d’un sujet qui pouvait prêter à toutes les dérives. On est à Versailles et non pas au Temple, et ce sont les moutons qui entourent la reine et non les tricoteuses. Sa Marie-Antoinette, il la cueille dauphine lors de son arrivée à Versailles en 1770, où, à 14 ans, elle épouse pour la forme un futur Louis XVI de 15 ans. Il la laisse lorsque retentit le hurlement d’une foule qui la conduira à l’échafaud, vingt-trois ans plus tard. « Pour entamer ce pan de l’histoire, dit Malandain, j’aurais dû toucher au politique et cela devenait trop énorme, trop complexe ».
Il lui a fallu cerner son héroïne grâce à la musique, en premier, car on sait combien elle comptait pour cette protectrice des arts, cette harpiste passionnée – l’Air des esprits bienheureux tiré de l’Orphée de Gluck qui évoque la joie de sa première maternité, est d’ailleurs joué dans une transcription pour harpe de Xavier de Maistre, en hommage à ce talent. Il a donc puisé dans Haydn et ses Symphonies nos 6, 7, et 8, Le Matin », « Le Midi » et « Le Soir », outre la n° 73, « La Chasse » : musique virevoltante et brillante, parfois fiévreuse, à laquelle l’Orchestre d’Euskadi a rendu justice, d’autant que la direction ardente et rigoureuse de Mélanie Lévy-Thiébaut l’a incontestablement fait progresser.
Puis Versailles, et sa cour, ses belles dames, ses folies: un monde empanaché et assoiffé de divertissements effrénés : Malandain nous y plonge avec un plaisir navré, tant le drame est proche. De l’héroïne, il garde la joie de vivre, le goût de la beauté et des fêtes, l’insouciance allant jusqu’à la plus totale inconséquence, avec en arrière plan, la douleur d’une vie de femme peu et mal vécue, la tendresse d’une vraie mère. Ne serait-ce l’imminence de la fin tragique, on pourrait appeler le ballet Plaisirs de l’Île enchantée.
Claire Longchampt et Mickaël Conte © Olivier Houeix
Malandain déroule un film fait de gestes baroques – on sent passer le souffle de Noverre, maître d’alors –, de pulsions plus modernes et plus âpres, d’envolées délicates, sans se poser en juge. D’une patte fluide, il feuillette un album où se lisent en 14 tableaux les pages emblématiques de cette vie versaillaise : un mariage non consommé, suggéré avec douceur, des conflits de cour, la rencontre juste évoquée avec le beau Fersen, les robes et les coiffures démentes, les tissus somptueux - superbe scène où d’immenses éventails dorés font à la reine un écrin, comme le plus fastueux des paniers. Le tableau morbide où Persée (splendide Hugo Layer) dans une représentation donnée à la Dauphine, tranche la tête de Méduse a aussi des airs de prémonition. Mais jusqu’au bout, c’est d’une démarche peu appuyée que le chorégraphe nous promène, se promène, suggère tout ce cruel et délicieux manège aristocratique qui court vers sa perte. Le temps glisse et l’on goutte avec une légère angoisse la beauté des costumes de Jorge Gallardo, complice habituel de Malandain, qui ici s’en est donné à cœur joie.
Les beaux danseurs de Ballet Biarritz semblent plongés dans un carnaval permanent et s’ébattent en état de griserie, autour de leur roi – excellent et touchant Mickaël Conte – et surtout de leur reine, la si précieuse, si altière, si souveraine Claire Longchampt dont le physique et le style tranchent radicalement avec ceux de la compagnie. Et c’est tant mieux, puisque son port la distingue immédiatement. Ainsi goûte-t-on pleinement ce conte terrible, mené avec tendresse et distance. Cela s’appelle l’élégance.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.concertclassic.com/article/cendrillon-de-thierry-malandain-lopera-royal-de-versailles-il-etait-enfin-une-fois-compte
(2) www.concertclassic.com/article/la-belle-et-la-bete-de-thierry-malandain-en-avant-premiere-lopera-royal-de-versailles-beau
Marie-Antoinette (chor. Thierry Malandain) – Versaille, Opéra Royal, le 29 mars 2019 : prochaine représentation le 31 mars 2019. www.chateauversailles-spectacles.fr
Tournée 2019 au Teatro de la Maestranza de Séville, le 24 février, au Théâtre d’Anvers, les 23 et 24 mars, et en France jusqu’en août 2019, à Vichy, 5 et 6 avril, Bordeaux, 19 et 20 avril, Reims, 25 et 26 mai et Biarritz, 1, 2, 3 juin et 7, 8 et 9 août. www.malandainballet.com
Photo © Olivier Houeix
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