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« Massenet est un peu le Méliès de la musique » - Une interview de Laurent Campellone, chef d’orchestre
A l’orée de sa huitième saison à la tête de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, Laurent Campellone est l’acteur central de la 11ème Biennale Massenet qui démarre à Saint-Etienne le 20 octobre et se termine à Paris, le 7 décembre, avec un concert à l’Opéra Comique. Recréation mondiale du Mage(1), opéra jamais redonné en France depuis sa création en 1891(2), création mondiale de Visions : la Biennale du centenaire ne manque pas d’attraits pour les amoureux de la musique de Massenet.
En plein centenaire de la mort de Massenet, quelle signification prend pour vous la Biennale 2012, compte tenu du travail que vous menez depuis bientôt une décennie à Saint-Etienne ?
Laurent Campellone : Chaque biennale prend un sens particulier car, à chaque fois, l’accent est mis sur une œuvre méconnue. Après Ariane, Sapho et d’autres partitions, le public va cette fois découvrir Le Mage. Cette œuvre n’a pas été jouée depuis 1891, il s’agira donc de sa recréation mondiale. Avec le centenaire, la Biennale prend un peu plus d’ampleur et nous reprenons à Paris le programme « Sur les pas de Thaïs », le 7 décembre à l’Opéra Comique.
Parlez-nous de ce Mage, que vous apprêtez à faire revivre…
L. C. : Personne n’a jamais entendu cette partition, hormis deux ou trois airs – dont un enregistré par Rolando Villazon. Je suis un grand collectionneur de « piano-chant » d’opéras du XIXe et du début du XXe siècle. L’une de mes passions est de les déchiffrer pour faire le tri entre les ouvrages qui ont été écartés pour de bonnes raisons et ceux qui sont injustement tombés dans l’oubli. Le travail de Jean-Louis Pichon autour de l’œuvre de Massenet pendant vingt ans avait déjà permis de retrouver un certain nombre d’œuvres, mais il reste encore, à mon avis, cinq ou six partitions importantes à exhumer ; Le Mage en fait partie.
Cette œuvre s’inscrit dans la période la plus féconde de l’activité de Massenet et si on ne la donne plus, c’est pour de très mauvaises raisons : elle est très difficile vocalement, le rôle du ténor est particulièrement éprouvant. Je me suis dit qu’il était possible de trouver aujourd’hui des chanteurs prêts à s’y attaquer et plutôt que de donner une version scénique, avec tous les risques que cela comporte pour les voix, il m’a semblé préférable de la présenter en version de concert.
Il faut reconnaître que le 1er Acte pêche un peu par son statisme – sur les cinq il est le moins puissant – et j’imagine que beaucoup de gens en sont restés là pour juger Le Mage. Tout le reste de l’opéra montre un étonnant mélange entre l’influence wagnérienne, celle de Berlioz – des choses viennent de la Tétralogie, d’autres des Troyens – mais aussi l’orientalisme – orient fantasmé ; un peu comme on rêve le Moyen Âge au XIXe siècle - : il en résulte une partition très puissante, avec un orchestre d’une grande richesse.
Autre découverte de cette 11ème Biennale, la pièce Visions pour orchestre et … phonographe, qui montre le goût de l’expérimentation de Massenet…
L. C. : Massenet est un peu le Méliès de la musique ; c’est un homme qui a toujours expérimenté, qui a toujours eu la volonté de faire quelque chose de différent. Quand on regarde sa production lyrique, on trouve rarement le terme opéra, mais plutôt « opéra légendaire », « opéra-tragique », « conte lyrique », « drame lyrique », etc. Dans la forme, dans l’harmonie, dans l’orchestration, dans l’utilisation des voix, chaque opéra est un laboratoire pour Massenet ; il cherche à adapter la forme au fond.
Quand on lui a présenté l’innovation que constituait le phonographe, il a eu la volonté de l’intégrer dans une composition. Visions est aussi la manifestation d’une idée qui est dans l’air du temps à l’époque : l’art ne peut pas, ne doit pas se déconnecter du progrès technique. Nous avons fait restaurer la partition et refaire les bandes…
A quoi ressemble justement cette partie enregistrée ?
L. C. :… Ce sera la surprise… et la découverte du premier acte moderniste de l’histoire de la musique. Il faut venir l’entendre le 4 décembre à Saint-Etienne ou le 7 à l’Opéra Comique. Nous interpréterons la pièce en création mondiale ; elle pas été donnée du vivant de Massenet.
La qualité de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire fait l’unanimité. Il ne s’agit pourtant pas d’un orchestre permanent. Quel a été votre secret pour parvenir à un tel résultat ?
L. C. : Quand je suis arrivé l’outil était en très bon état ; Patrick Fournillier avait fait un très bon travail pendant une quinzaine années et j’ai hérité d’un orchestre en forme. Comme tout orchestre il avait ses qualités et ses défauts, mais il fonctionnait et je me dois de rendre hommage à mon prédécesseur.
Durant ma première saison j’ai commencé à réformer certaines choses en douceur. Il est facile quand on arrive de faire une audition générale, de se défaire de certains musiciens ; ça n’a jamais été ma méthodologie. Il y avait un orchestre en bonne forme avec un potentiel encore plus important. Je me suis dit que le vrai pari était de révéler ce potentiel. J’ai multiplié les répétitions partielles ; nous avons même fait des partielles très divisées avec seulement les premiers violons, seulement les violoncelles, les bois, etc. Pendant les répétitions, il y a toujours du travail à faire jusqu’à la dernière minute de la générale : cela, les musiciens l’on compris.
Il y aussi eu le choix d’œuvres qui présentent des exigences très particulières : nous avons donné certaines symphonies de Mahler, qui obligent à un travail très particulier sur le son, Beethoven a par ailleurs été très présent dans nos programmes (3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 7ème et 9ème Symphonies), c’est un auteur qui demande un gros travail de cohésion sonore, d’écoute interne. Nous avons aussi donné les quatre Symphonies de Brahms. Tout cela a été fait pendant des années de façon très consciente et très programmée. Quand on tient la barre comme ça, quelque chose de passe ; un nouveau son apparaît. C’est un orchestre qui fait beaucoup de musique française et je tiens à conserver cette particularité. Tous les solistes qui viennent chez nous sont sidérés par l’investissement des musiciens, l’envie de bien faire.
Nous réalisons cette interview par téléphone ; vous êtes en ce moment à Moscou pour diriger une série de représentations de La Traviata au Bolchoï. Qu’en est-il de vos activités en dehors de Saint-Etienne ?
L. C. : J’avoue que je «communique » relativement peu là-dessus. Le star system ne m’intéresse pas ; les projets que j’accepte pour ma carrière ont toujours un goût particulier. Le Bolchoï m’avait invité il y a deux ans pour Les Contes d’Hoffmann, dont c’était la création à Moscou. Les choses se sont très bien passées et ils m’ont demandé de revenir en me faisant diverses propositions. Je souhaitais pour ma part y retourner pour un titre qui a un sens particulier. Faire une Carmen ou une Tosca, œuvres qu’ils ont déjà à leur répertoire, ne m’intéressait pas vraiment. Je ne veux pas avoir l’air de « cracher dans la soupe » en vous disant ça mais je me nourris d’expériences humaines et il était passionnant pour moi de venir diriger La Traviata, qui n’avait pas été donnée au Bolchoï depuis près de vingt-cinq ans, avec un cast de jeunes chanteurs. Nous faisons La Traviata la plus proche possible de la partition, avec une grande exigence stylistique. On m’a donné la possibilité d’organiser le travail de l’orchestre comme je l’entendais – l’ouvrage demande un traitement des cordes très particulier - ; au début les musiciens, qui sont marqués par une certaine tradition, ont été un peu dubitatifs mais quand ils ont compris dans quelle direction nous allions un grand enthousiasme s’est manifesté.
J’ai le goût des expériences humaines : j’ai accepté d’aller diriger l’Orchestre de Kuala Lumpur, qui fera de la musique française pour le première fois. Cet orchestre fête son 25ème anniversaire. Aller lui proposer des pages inconnues de Massenet par exemple, c’est lui apporter quelque chose.
Seul les projets qui font sens pour moi m’intéressent. Les organisateurs ont parfois un peu de mal à le comprendre ; il faut être diplomate... La vie d’un artiste est courte ; le seul luxe que l’ont peut avoir au bout d’un moment dans sa carrière, c’est de choisir ; choisir les gens avec lesquels on a envie de travailler et les projets que l’on a envie de défendre.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 5 octobre 2012
Le Mage fera l’objet d’un enregistrement, à paraître dans la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane.
Le Mage n’a été repris qu’une fois, en 1896 à La Haye
11ème Biennale Massenet de Saint-Etienne
Du 20 octobre au 7 décembre 2012
Opéra de Saint-Etienne
www.operatheatresaintentienne.fr
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Photo : DR
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