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​Michael Spyres, John Irvin, Jonathan Cohen et The Orchestra of the Age of Enlightenment – Méhul en beauté – Compte-rendu

Les bonnes nouvelles pour la musique française viennent souvent des interprètes anglo-saxons. Tandis que l’année du bicentenaire de la mort d’Etienne-Nicolas Méhul (1763-1817) débute, The Orchestra of the Age of Enlightenment était au rendez-vous il y a peu à Londres pour un « Gala Méhul « . Commençons pas rendre à César ... La chose n’étonnera nullement - c’est au Palazzetto Bru Zane que l’on doit l’initiative d’un concert dont le propos est d’illustrer l’originalité et la diversité d’inspiration d’un compositeur situé à une période charnière de l’histoire de France, qu’on l’envisage du point de vue musical ou politique. Originalité dont un autre exemple, discographique, arrive ces jours-ci avec la sortie d’un bel enregistrement d’Uthal – « opéra en un acte et en vers imité d’Ossian » daté de 1806 – réalisé à Versailles au printemps 2015, sous la direction de Christophe Rousset (1) 

Le bref et surprenant Uthal – avec son orchestre sans violons – dont un air figure d’ailleurs au programme du gala, en compagnie d’extraits d’autres ouvrages lyriques, de pièces instrumentales du Français, mais aussi d’un air du Fidelio de Beethoven et de pages symphoniques signées Mozart, Gluck, Kreutzer et Salieri : grand panorama européen donc, mais dont l’auteur de l’immortel Chant du Départ demeure bien l’objet premier.
A la tête de l’Orchestre de l’Âge des Lumières, Jonathan Cohen (né en 1977) montre un engagement, un sens théâtral, une attention constante au timbre instrumental dont on prend d’emblée la mesure avec l’ouverture des Amazones de Méhul, morceau à l’orchestration très cuivrée que le chef mène avec un souffle et une plénitude qui augurent du meilleur pour la suite.

Deux ténors américains à l’affiche : John Irvin et Michael Spyres (photo). Au premier d’ouvrir la marche avec deux airs de Méhul : « Du mal affreux » (Mélidore et Phrosine) et « Quoi ! Je la cherche en vain » (Uthal). Souvent en délicatesse avec la prononciation française, Irvin montre cependant une belle musicalité et sait, dans l’émouvant extrait d’Uthal, accorder sa voix aux teintes d’un orchestre dont Cohen saisit toute la portée expressive. Car le bonheur est aussi du côté instrumental : entre les deux morceaux chantés, l’Air de Furie de Gluck montre une netteté des attaques et un feu admirables.

Jonathan Cohen © The Orchestra of the Age of Enlightenment

Un peu plus loin, J. Cohen ne convainc par moins dans le premier mouvement de la 5ème Symphonie en la majeur (ouvrage inachevé de 1810) de Méhul qui, après un assez haydnienne introduction lente – la musique de l’Autrichien a beaucoup circulé à Paris ... – chemine avec de belles trouvailles harmoniques vers son éclatante conclusion sous une battue allante et pêchue. On ne pouvait mieux préluder à l’entrée de Michael Spyres pour le « Gott ! Welch dunkel hier ! » (Fidelio) que l’artiste aborde avec une aisance technique, une présence et une justesse de sentiment simplement idéales.

Hormis le « Traçons bien notre plan » issu d’Une Folie de Méhul, confié à un John Irvin charmeur mais qui ne parvient à restituer toute la saveur de cet air – toujours le handicap de la prononciation ... – le reste de la soirée revient à Spyres. Ses affinités avec la langue française ne sont plus à dire ; elles se vérifient avec deux superbes pages de Méhul dans lesquelles le chanteur s’investit corps et âme. Impossible de résister à la douleur désespérée qu’il met dans le « Qu’ai-je fait, malheureux ? » (Euphrosine, ou le tyran corrigé), pas plus qu’au « Ô Dieux ! Ecoutez ma prière ! » (Ariodant). L’impact dramatique de ce dernier est accru par le soin que J. Cohen prête à un accompagnement dont on savoure la souplesse des cordes comme l’efficacité des vents (le trombone sur la troisième strophe de l’air !).

La seconde partie de la soirée comprend, elle aussi, des moments purement orchestraux. Après une délicieuse ouverture des Petits riens de Mozart, on se laisse emporter par l’épique ouverture d’Astyanax de Rodolphe Kreutzer ou celle des Danaïdes de Salieri dont le chef et ses instrumentistes saisissent toute la haletante fébrilité.
Et n’oublions pas le bis de Michael Spyres : la romance «Amour si je succombe » tirée d’Ariodant. Sa pureté de ligne et sa poésie rappellent à quel merveilleux musicien on à affaire. On s'en rejouit, d'autant que l'Américain est appelé à compter de plus en plus parmi les acteurs majeurs de la redécouverte de pans méconnus du répertoire lyrique français (2) 

Alain Cochard

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Londres St John’s Smith Square, 10 février 2017 
 
(1) Livre disque (1 CD) Palazzetto Bru Zane / Opéra Français (Karine Deshayes, Yann Beuron, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy, Philippe Nicolas Martin, Chœur de chambre de Namur, Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset).
Toujours de Méhul et à l’initiative du PBZ, signalons un séduisant enregistrement d’Adrien, réalisé en 2014 sous l’énergique direction de György Vashegyi (disponible uniquement sur les plateformes de téléchargement).

(2) Lire l’interview de Michael Spyres : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-michael-spyres-tenor-celui-qui-perd-sa-voix-cest-quil-la-cherche

Photo © The Orchestra of the Age of Enlightenment

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