Journal
Michel Bourcier à Notre-Dame de Paris – Pour refermer l'année Jean-Louis Florentz – Compte-rendu
Pour le premier des quatre concerts d'orgue du mardi soir de la saison 2014-2015 (1), Notre-Dame de Paris a convié Michel Bourcier, organiste titulaire de la cathédrale de Nantes et ardent défenseur de la musique de notre temps – en particulier de celle de Jean-Louis Florentz (1947-2004), dont il a créé, en 1985 à l'église des Billettes (Paris), Les Laudes op. 5, vaste cycle de sept pièces « inspirées du Kidân Za-Nageh, ou "office du matin" de la liturgie éthiopienne », puis en 1991, à Saint-Eustache, Debout sur le soleil op. 8 (Chant de Résurrection pour orgue). En 1994, de nouveau à Saint-Eustache, Michel Bourcier enregistrait ces deux monuments pour Koch International (prise de son d'André Thiébault – Disques Triton) : ce CD est repris dans l'ouvrage de Marie-Louise Langlais Jean-Louis Florentz, l'œuvre d'orgue – Témoignages croisés paru en 2009 chez Symétrie (2), un second CD permettant d'entendre le poème symphonique La Croix du sud op. 15 dans l'interprétation (à Notre-Dame de Paris en 2000) de son créateur (à Saint-Rémi de Reims) : Olivier Latry, ainsi que le Prélude de L'Enfant noir op. 17-1 par Béatrice Piertot en 2003 à Saint-Eustache, où elle l'avait créé lors de la 4ème édition du défunt Concours International d'Orgue de la Ville de Paris. On notera qu'une intégrale de l'œuvre d'orgue de Florentz, la première par un même interprète, vient de paraître chez Hortus : Thomas Monnet joue l'orgue de Roquevaire (3).
Le magnifique programme de Michel Bourcier s'ouvrait, ce 9 décembre, sur une œuvre rare : le Prélude apocalyptique d'André Jolivet, alors tout juste trentenaire (1935). Le compositeur devait reformuler et développer cette pièce stupéfiante pour en faire son Hymne à l'Univers (1961, créé par Jean-Jacques Grunenwald en 1963 à Saint-Pierre-de-Montrouge). D'une modernité radicale extraordinairement affirmée, en regard notamment des œuvres contemporaines de celui qui, le 6 décembre 1936, la donna en première audition sur Radio-Paris : Olivier Messiaen !, l'œuvre de 1935 témoigne d'un climat effectivement apocalyptique des plus bouleversants (« ésotérisme et sauvagerie s'y rencontrent, Orient et Occident », écrit François Sabatier à propos de la version de 1961), jusqu'à une étonnante péroraison merveilleusement consonante, telle une note d'optimisme ou d'apaisement (?) scellant la confrontation, sorte de gigantomachie cosmique, des hommes avec l'univers.
S'ensuivirent deux extraits poétiques – Labyrinthe et Souterrain – de la Deuxième Sonate de Valéry Aubertin (4), puis l'avant-dernière pièce des Laudes de Florentz : Rempart de la Croix. Après quoi une autre et généreuse rareté fit le lien, dans la perspective de l'œuvre en quasi perpétuel devenir, avec l'orgue de Notre-Dame : la première (1856) des quatre versions de la Fantaisie en ut de César Franck (des Six Pièces) – une deuxième version vit le jour en 1863, puis en 1868 la version publiée, dont il existe une version augmentée sans doute réalisée, selon Joël-Marie Fauquet (César Franck, Fayard, 1999), pour l'inauguration du Cavaillé-Coll de Notre-Dame, le 6 mars 1868…
L'apogée du concert fut indéniablement Debout sur le soleil de Florentz, chef-d'œuvre infiniment complexe que Michel Bourcier, en presque un quart de siècle, n'aura cessé de sonder et d'intérioriser. Dépassant le commentaire du compositeur – « Il n'y a cependant pas dans cette œuvre une recherche systématique et approfondie sur les timbres, comme dans Les Laudes. Ici domine la virtuosité, notamment au pédalier, dont le rôle est presque équivalent à celui d'un troisième clavier manuel dans l'écriture. » (5) –, l'interprète utilisa l'extraordinaire palette de l'orgue de Notre-Dame, idéale pour cette musique, de manière prodigieuse : d'intensité et de beauté, d'équilibre et de puissance maîtrisée, en particulier la fameuse série des harmoniques, jusqu'à cette troublante onzième récemment ajoutée à l'instrument pour Florentz. Influencé dans son approche de l'orgue par celui de Notre-Dame, le compositeur ne pouvait, en retour, qu'influencer l'instrument tel que relevé et modifié cette année, comme le soulignait Olivier Latry à l'issue du concert.
On sait ce que l'inscription d'une nouvelle référence discographique à quelque label que ce soit représente d'investissement et de suivi. L'on se prend toutefois à rêver, à l'écoute d'un tel programme et dans la mesure où tous les concerts de Notre-Dame sont enregistrés, de pouvoir un jour disposer – par exemple sous le label Maîtrise Notre-Dame de Paris – d'une collection sur le vif restituant les temps forts les plus marquants de la vie musicale de la cathédrale. Ce concert de Michel Bourcier du 9 décembre 2014 en ferait incontestablement partie.
Michel Roubinet
Cathédrale Notre-Dame de Paris, mardi 9 décembre 2014
(1) Prochains concerts d'orgue du mardi : François-Henri Houbart (Paris, La Madeleine) le 17 mars – Philippe Brandeis (Sacré-Cœur de Montmartre et cathédrale Saint-Louis des Invalides) le 28 avril – Pierre Méa (cathédrale de Reims) le 16 juin
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!concerts-i-saison-2014-2015/cgqx
(2) Marie-Louise Langlais : Jean-Louis Florentz, l'œuvre d'orgue – Témoignages croisés, Symétrie, 2009
symetrie.com/fr/titres/jean-louis-florentz-oeuvre-orgue-temoignages-croises
(3) De cire et or – L'œuvre d'orgue de Jean-Louis Florentz par Thomas Monnet, Hortus 114
www.editionshortus.com/catalogue_fiche.php?prod_id=55
(4) Valéry Aubertin – Disques Triton
www.disques-triton.com/fr/compositeur.asp?id=38
(5) Jean-Louis Florentz – Debout sur le soleil
www.jeanlouisflorentz.com/fr/jean-louis-florentz-debout-sur-le-soleil-op-8-1990-,article-19.html
Sites Internet :
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris – concert du mardi 9 décembre 2014
www.notredamedeparis.fr/spip.php?article1923
Michel Bourcier – les organistes de la cathédrale de Nantes
www.musiquesacree-nantes.cef.fr/les-orgues/les-organistes-de-la-cathedrale
Association Jean-Louis Florentz
www.jeanlouisflorentz.com/fr/accueil,2.html
Photos © DR
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