Journal
Moïse et Pharaon de Rossini à l’Opéra de Lyon – Charlton, est-ce toi ? – Compte-rendu
Que vient donc faire Charlton Heston, tout droit sorti des Dix Commandements de Cecil B. DeMille, dans la production de Moïse et Pharaon signée Tobias Kratzer, que l’Opéra de Lyon présente après sa création au festival d’Aix l’été dernier ? Alors que le livret fait l’objet d’une actualisation qui fait des Hébreux en Egypte des réfugiés politiques échoués sur la côte de quelque pays occidental, pourquoi Moïse conserve-t-il, lui, les oripeaux bibliques qui lui prêtèrent Gustave Doré ou les péplums hollywoodiens ?
C’est sans doute que, dans ce monde sans Dieu que présente la mise en scène, l’affrontement des deux camps est avant tout politique. Vouloir conserver l’enjeu religieux aboutirait à faire des deux rôles-titres deux équivalents aussi peu attirants qu’un leader islamiste fanatique et un représentant de l’ultra-droite chrétienne, aussi est-ce une bonne solution que de placer Moïse à part : lui qui n’a que Jehovah à la bouche, et qui accomplit plusieurs miracles (même si le moment où il fait se rallumer les néons dans les bureaux de Pharaon fait un peu ricaner la salle), il n’appartient évidemment pas au même univers que les dirigeants en costume-cravate – Pharaon et Osiride – ou que les membres d’ONG – Aménophis avant son revirement final – ou que les boat people que sont Eliézer, Anaï et Marie.
Hormis ce léger tour de passe-passe, il faut reconnaître que le spectacle monté par Tobias Kratzer et d’une habileté et d’une intelligence admirables, qui prouve une fois de plus combien le grand opéra français peut aujourd’hui nous parler. L’œuvre est respectée, non sans une pointe d’humour (comme ce chœur final où les Hébreux remercient le Seigneur tandis que de riches oisifs se prélassent au bord de cette mer Rouge qu’ils viennent de franchir), ou comme l’excellente idée de faire apparaître la princesse assyrienne Elégyne, promise à Aménophis, l’acte III devenant non plus une cérémonie religieuse mais l’accueil de la future bru de Pharaon, le ballet étant dès lors ce qu’il est, c’est-à-dire un divertissement offert par la cour d’Egypte à sa visiteuse.
Pour cette troisième représentation lyonnaise, on est d’abord déçu d’apprendre que, pour raisons médicales, Daniel Rustioni a dû renoncer à diriger, mais on s’en console tant son assistant Clément Lonca se montre convaincant, à la tête du même orchestre qui était déjà présent à Aix-en-Provence. Le chœur maison mérite lui aussi les plus grandes louanges, confirmant des qualités déjà souvent remarquées, de diction autant que de musicalité.
Autre attrait de cette étape lyonnaise (le spectacle est également coproduit par le Teatro Real de Madrid), la distribution est en grande partie renouvelée par rapport à l’été dernier. Les rôles secondaires n’ont pas changé, et malgré les efforts louables de tous en matière de prononciation du français, deux francophones se distinguent par le naturel de leur déclamation : Géraldine Chauvet, très maternelle Marie, et Edwin Crossley-Mercer, noble Osiride. On retrouve aussi Mert Süngü, percutant Eliézer, et la Sinaïde émouvante et applaudie de Vasilisa Berzhanskaya. Michele Pertusi, qui semble taillé pour l’habit du prophète, est lui aussi de retour, toujours aussi impressionnant d’autorité scénique et vocale. Les trois nouveau-venus sont donc, tout d’abord Alex Esposito, Pharaon tyrannique, au timbre bien distinct de celui de Moïse ; Ruzil Gatin, ténor russe dont la maîtrise des aigus et l’expérience rossinienne sont ici particulièrement appréciable ; et Ekaterina Bakanova qui, après un démarrage laissant craindre le pire (voix trop couverte, notes trop basses), s’impose avec maestria dans le rôle d’Anaï. Pour rappel, l’Opéra de Paris n’a plus jugé bon depuis 1983 de reproposer cette œuvre, dont il a vu la création en 1827. On se demande bien pourquoi.
Laurent Bury
Photo © Blandine Soulage
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