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Moïse et Pharaon de Rossini, selon Tobias Kratzer, au Festival d’Aix-en-Provence 2022 – Les clichés ont la vie dure ! – Compte-rendu
Les soirées se suivent et se ressemblent au théâtre de l’Archevêché où les promesses liées à des distributions alléchantes sont peu, ou pas, honorées. Après un Idoménée, roi de Crète, signé Satoshi Miyagi (1), difficilement lisible, le Moïse et Pharaon de Rossini, mis en scène par Tobias Kratzer n’a pas suscité d’enthousiasme particulier ; tout juste un accueil distant. Il faut dire qu’au cours des trois heures de représentation, à l’instar des égyptiens, les spectateurs ont souvent bu la tasse… Et ce n’était pas dans les eaux de la Mer Rouge.
A force de vouloir actualiser les opéras en les transformant en sujets d’actualité de notre temps, les metteurs en scène ne sont-ils pas entrain de se fourvoyer ? Et à force de prendre les spectateurs pour des ignares, de grossir des traits à l’extrême et d’enfoncer des portes ouvertes, l’art lyrique ne risque-t-il pas d’y laisser des plumes ? Vaste débat dans lequel le Moïse et Pharaon du Festival d’Aix plonge tête baissée et se noie à force de séances d’apnée peu maîtrisées. Pour ceux qui l’ignorent, notre monde vit coupé en deux, d’un côté les bons, de l’autre les méchants, d’un côté les riches, de l’autre les pauvres (les premiers exploitant les autres), d’un côté ceux qui fuient la misère pour trouver une vie meilleure, de l’autre les nantis dont une partie est heureuse de s’en débarrasser, l’autre partie refusant de les accueillir. Avait-on besoin que Tobias Kratzer s’empare de cette dichotomie pour alimenter son propos dans Moïse et Pharaon ? De la façon dont il l’a fait, pas vraiment.
Autant l’installation de Romeo Castellucci pour « Résurrection », qui a ouvert le festival (2), interpelle, secoue, ne laisse pas insensible que l’on adhère ou non, autant les clichés éculés véhiculés par la mise en scène de Kratzer font parfois sourire nerveusement, ennuient beaucoup, attristent souvent par leur premier degré. Depuis le costume-cravate des Égyptiens (nantis pour la circonstance) aux vêtements très « seconde main populaire » des Hébreux qui fabriquent des cocktails Molotov – non ce ne sont pas des bouteilles de rosé qui circulent sur scène ! – en passant par les embarcations sommaires des traversées souvent mortelles des vrais migrants, l’écran géant d’un smartphone qui débite des images de catastrophes naturelles bien réelles ou encore l’installation d’une plage chic pour la scène finale, clichés et lieux communs s’accumulent. Tout juste évite-t-on la grève des Hébreux pour justifier les sept plaies bibliques… Tobias n’y a peut-être pas pensé ! Bref, on aurait aimé qu’un peu moins de portes ouvertes soient enfoncées sur scène et qu’un peu plus de finesse soit mise en œuvre afin que nous puissions jouir pleinement de l’essentiel : les voix et la musique.
De la musique, il y en a, et des voix il en faut pour défendre ce grand opéra en quatre actes de Rossini (créé à l’Académie Royale de Musique, salle Le Peletier, le 26 mars 1827). A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, « le » spécialiste Michele Mariotti donne toute sa dimension à une partition solide, puissante et captivante. La couleur de l’orchestre est parfaite tout comme est excellent le chœur de la maison lyrique lyonnaise (préparé par Richard Wilberforce), somptueux, dense et précis, et qui, de plus, exécute parfaitement le travail scénique requis.
Côté solistes, on attendait beaucoup de l’Aménophis de Pene Pati, surnommé « le Pavarotti samoan » ; nous l’avons trouvé discret et parfois gêné … Si l’on s’en tient à cette prestation, force est de reconnaître qu’il lui reste encore pas mal de travail pour arriver à tenir la comparaison avec le maître ténor de Modène. Débarqué tout droit d’un péplum de Cecil B. DeMille, par l’intermédiaire d’un costume « historique » qui dénote quelque peu, le Moïse de Michele Pertusi (photo) manque singulièrement de fraîcheur ; à ses côtés l’Eliézer de Mert Süngü ne déclenche pas l’enthousiasme. Quant au Pharaon d’Adrian Sampetrean, il traverse l’œuvre avec beaucoup de discrétion… Les satisfactions viendront des femmes avec la délicate Anaï de Jeanine De Bique, belle ligne de chant, et la somptueuse Sinaïde de Vasilisa Berzhanskaya qui sera la grande triomphatrice de la soirée, Géraldine Chauvet campant, elle, une agréable Marie.
Aux saluts, la frustration domine dans la salle et l’on se dit qu’avec le festival nous sommes peut-être passés à côté d’un événement. Dommage. Mais bon sang, que la musique de Rossini est belle et combien le chœur final des Hébreux, chanté depuis les gradins du théâtre, nous tire les frissons tandis que sur scène les nombrils se prélassent au soleil ; ce chœur aurait vraiment mérité meilleur sort que ce énième cliché illustrant la dichotomie évoqué plus haut, et surtout meilleure écoute …
Michel Egéa
(1) www.concertclassic.com/article/idomeneo-re-di-creta-de-mozart-selon-satoshi-miyagi-au-festival-daix-en-provence-2022
(2) www.concertclassic.com/article/la-symphonie-ndeg2-de-mahler-vue-par-romeo-castellucci-ouvre-le-festival-daix-en-provence
Rossini : Moïse et Pharaon – Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché 7 juillet ; prochaines représentations : 9, 12, 14, 16 et 20 juillet 2022. Diffusion en direct le 12 juillet à 21 h 30 sur Arte concert et le 14 juillet à 21 h 30 sur France Musique // festival-aix.com/fr/evenement/moise-et-pharaon
Photo © Monika Rittershaus
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