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Moldavie / 1er Festival International Alexander Paley de Kishinev - Complicité musicale - Compte-rendu
Une émotion palpable se dégage de la Sonata reminiscenza de Nikolai Medtner qui ouvre le concert inaugural du 1er Festival International de Musique de chambre Alexander Paley de Kishinev (Chisinau, la capitale de la République de Moldavie). On imagine quelques unes des pensées qui envahissent le pianiste à ce moment. Alexander Paley (photo) est de retour dans la ville ou il naquit en 1956 et débuta à six ans le piano avec Evgenia Revzo (une artiste née en France). Celle qui a pesé de façon déterminante dans la formation musicale et l’ouverture intellectuelle de l’interprète, avant qu’il ne poursuive ses études à Moscou, est décédée quelques jours plus tôt, en Israël, à plus de 95 ans. L’enfant du pays lui dédie sûrement beaucoup du Festival qu’il lance en compagnie de son épouse la pianiste Pei Wei Chen et de quelques amis musiciens…
Comme son intitulé le laisse entendre, le piano solo n’est pas l’objet principal de la manifestation, mais nous vaut toutefois quelques moments forts de sa 1ère édition. Sous les doigts d’A. Paley, les Etudes op 8 de Scriabine brûlent d’un feu poétique qui fait immanquablement songer à Sofronitzky, les douze Etudes de Debussy, portées par un souffle quasi-orchestral, osent un visage totalement inédit, dérangeant parfois, mais passionnant. Quant à la Tragica de Medtner, on gardera longtemps en mémoire une interprétation époustouflante par son engagement, sa fièvre, sa radicalité, ses prises de risques incroyables - et totalement assumées ! Routine, tiédeur, consensus : des mots qui ne figurent pas au dictionnaire d’un des pianistes les plus atypiques de notre époque.
En piano solo toujours, on a également le bonheur de retrouver une complice de longue date d’A. Paley, Marie-Catherine Girod, pour une création à Kishinev : la Sonate d’Henri Dutilleux - il était temps ! La pianiste en a gravé une version de référence (pour Solstice) en 1980 et demeure l’une des meilleures avocates d’une partition qu’elle sert avec une myriade de couleurs et une imagination poétique (le mouvement lent saisit par son caractère très abstrait) qui vont toujours de pair avec une grande lisibilité.
Le riche répertoire pour deux pianos est également très présent dans la programmation du 1er Festival. En compagnie de Marie-Catherine Girod, A. Paley fait honneur à la musique française avec une Valse de Ravel d’une phénoménale intensité dramatique et une España de Chabrier pétillante de lumière.
Accompagnatrice très prisée de chanteurs célèbres aux Etats-Unis, Pei Wei Chen collabore régulièrement avec son mari en duo de pianos. La saveur et la fraîcheur des Danses tchèques de Martinu et des Souvenirs de Barber, l’autorité avec laquelle se révèlent toutes les promesses des étonnantes Variations op 2 d’Enesco, le swing et le charme de la merveilleuse Fantaisie sur Porgy and Bess de Percy Grainger ou, enfin, l’ivresse virtuose et dramatique des Réminiscences de Don Giovanni de Liszt illustrent son formidable sens du dialogue au côté d’un pianiste au tempérament de feu dont il n’est pas donné à tous de pouvoir partager les options interprétatives.
Autre invité du 1er Festival, le jeune violoniste Dan Zhu donne la preuve de la curiosité qui l’anime dans ses choix de répertoire - il possède plus d’une trentaine de concertos. En compagnie d’A. Paley, il explore la trop rare Sonate n°2 d’Enesco et en libère le lyrisme parfumé avec un subtil mélange de liberté et de pudeur.
A. Paley est homme de défis, Dan Zhu relève avec brio celui consistant à se confronter à l’immense Sonate n°3 « Epica » de Nikolai Medtner (plus de 50 minutes de musique !) et, bien aidé par le jeu nerveux et foisonnant de son partenaire, déploie une conception déjà très dominée et pleine de noblesse – déjà, car ce n’est que la deuxième fois que l’artiste chinois joue l’Opus 57 en public.
Passionné d’opéra, A. Paley a tenu à ce que ce genre soit présent dès le 1er Festival avec Mozart et Salieri dans la version avec accompagnement de piano qui n’est rien moins que la mouture originale de l’ouvrage en un acte de Nikolai Rimski-Korsakov. Donnée avec deux remarquables jeunes chanteurs encore inconnus en Europe occidentale, Oleg Tsibulko (basse) et Sergei Pilipetzky (ténor), la partition prend un relief particulier, le dépouillement de la partie de piano ne faisant qu’intensifier la confrontation entre les deux personnages, nourrie de la langue magnifique de Pouchkine. Petite liberté - fort bienvenue -, le pianiste s’autorise à insérer la transcription par Liszt du Lacrimosa du Requiem de Mozart dans le cours de l’œuvre.
Premier Prix du Concours Bach de Leipzig en 1984 – une récompense qui lui offrit la possibilité de donner des concerts en Europe occidentale… et de s’enfuir aux Etats-Unis en 1988 – A. Paley voue un véritable culte à la musique du Cantor. Pour le concert de clôture du Festival, l’ensemble des concertos pour deux et trois claviers sont au programme. Avec le concours de l’Orchestre de chambre de la Philharmonie de Chisinau, A. Paley (soliste et chef pour l’occasion), Pei Wei Chen, Marie-Catherine Girod et Stanislav Jar, talentueux jeune pianiste originaire de la capitale moldave, signent, dans diverses configurations solistiques, des interprétations pleines de relief et de gourmandise, et referment de lumineuse manière une surabondante 1ère édition (quatre concerts de plus de deux heures chacun !) d’abord synonyme de partage et de complicité.
Alain Cochard
1er Festival International de musique de chambre Alexander Paley de Kishinev (Moldavie) – Salle d’orgue, Philharmonie, du 26 au 29 mai 2011.
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Photo : Alain Cochard
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