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Montpellier - Compte-rendu : Festival de Montpellier – Doublé(s) gagnant(s)
L’amateur de piano guettait avec impatience les soirées des 16 et 17 juillet au Festival de Radio France : Evgeny Kissin et Aldo Ciccolini se sont effet succédés sur la scène du Corum pour des concerts qui comportaient l’un et l’autre deux concertos.
Pas d’hommage «officiel » à Mozart, Schumann ou Chostakovitch cette année à Montpellier, mais ces auteurs n’ont pas été oubliés pour autant. La Symphonie n°31 « Paris » de Mozart, le Concerto pour piano de Schumann, la Suite n°4 « Mozartiana » de Tchaïkovski et le Concerto pour piano n°1 Chostakovitch réunis dans le programme de Kissin et Foster : cela s’appelle sacrifier de façon habile au rituel des commémorations !
Sous la baguette de Lawrence Foster, à la tête du Philharmonique de Radio France, la Symphonie «Parisienne » a une fringante allure. Trait net mais sans sécheresse, tempos allants (l’Andante central est un vrai andante) : excellente entrée en matière ! Il reste que la salle pleine à craquer attend avec impatience Evgeny Kissin. Oubliée la climatisation par trop zélée du Corum(1) lorsque le pianiste russe s’empare du Concerto en la mineur pour une interprétation pleine de feu ! Elle manque d’un peu d’abandon dans le mouvement central sans doute, mais les deux Allegros, gorgés de sève, resplendissent d’une énergie pour le moins irrésistible. Ils semblent se souvenir du mot du Schumann avouant, au début des années 1840, que le piano devenait « trop étroit » pour lui…
Dans un esprit fait de tendresse et d’alacrité, Foster enlève ensuite avec beaucoup de fraîcheur la Suite « Mozartiana ». Et bravo à Svetlin Roussev pour son superbe solo dans la section finale de l’ouvrage !
Puisque nous sommes en Russie - enfin, de façon toute relative car la Suite n°4 enchaîne diverses pièces empruntées à Mozart et orchestrées par l’auteur du Lac des Cygnes -, restons-y ! On n’est pas prêt d’oublier le génial Concerto n°1 pour piano, trompette et cordes de Chostakovitch que Kissin donne en conclusion de soirée. Le néoclassicisme grinçant, mordant, parodique de l’œuvre stimule un virtuose qui prend la partition à bras le corps et « affûte » son propos pour atteindre la cible dans le mille, bien aidé en cela par les remarquables interventions du trompettiste Bruno Nouvion et le dynamisme de la battue de Foster – parfait, là comme dans Schumann.
Le concert Pizzetti(2)-Saint-Saëns donné le lendemain par Aldo Ciccolini et l’Orchestre National de Montpellier sous la conduite de Friedemann Layer constitue un bon exemple des programmes atypiques et découvreurs que René Koering aime à proposer.
Rondo veneziano : rassurez-vous, rien à voir avec l’une des pires choses que l’on puisse ranger sous le terme « musique », il s’agit en l’occurrence du titre d’une pièce pour orchestre d’Ildebrando Pizzetti (1880-1968). Pas quoi crier au génie certes, mais cette partition contrastée et assez inclassable où l’on oscille entre les grandes envolées lyriques et des épisodes néo-baroques (l’orchestre comprend un clavecin) se découvre avec un réel plaisir. Le dictionnaire Grove’s signale que le compositeur italien a écrit quelques musiques de films : vivant, contrasté, son Rondo Veneziano pourrait faire partie de cette catégorie – ce qui n’est pas un reproche, bien au contraire.
A quatre-vingt un ans bientôt, Aldo Ciccolini n’a rien perdu d’un profond et sincère goût pour la défense d’ouvrages méconnus. Il aura spécialement monté pour le Festival de Montpellier le Concerto pour piano et orchestre « Canti della stagione alta » de Pizzetti. Nul n’aurait trouvé à redire - surtout après avoir entendu un ouvrage point inoubliable - si le doyen des pianistes en activité l’avait donné avec partition. Et bien non ! En jouant de mémoire, Ciccolini nous a offert l’exemple de l’Interprète dans toute sa noblesse, traitant une œuvre sympathique avec le même respect que celui qu’il eût manifesté envers un grand concerto du répertoire. On salue bien bas, la démarche autant que le résultat. Car de l’argile, le pianiste parvient à faire de l’or. D’un Concerto inégal il tire des instants de profonde émotion, comme lors de ce long passage à la main droite seule, empli d’une secrète douleur, et impose une unité à une partition dont ce n’est pourtant pas la qualité première.
On l’oublie trop hélas, le Concerto n°5 « L’Egyptien » de Saint-Saëns appartient aux chefs d’œuvre du répertoire concertant français et constitue une vieille connaissance pour Ciccolini, qui le grava avec l’Orchestre de Paris et Serge Baudo en 1970(3). Grâce à la complicité de Layer et des musiciens montpelliérains, les retrouvailles se sont déroulées pour le mieux. Que ceux qui font rimer la musique de Saint-Saëns avec sécheresse écoutent le Concerto en fa majeur ! Surtout dans une interprétation telle que celle entendue à Montpellier. Sous les doigts de Ciccolini, l’Opus 103 se mue en une véritable fête de la lumière et des timbres ; l’Andante en particulier réserve des moments de poésie insoupçonnés, tandis que le finale scintille, radieux de santé.
Le public français a, de façon générale, la standing ovation tardive - et assez hypocrite (on se lève parce qu’il est l’heure de s’en aller…). Tel n’aura pas été le cas au terme d’un concert où quelques instants ont suffit pour que les auditeurs se dressent comme un seul homme et réservent un triomphe mérité à un seigneur du clavier.
Alain Cochard
(Festival de Radio France et Montpellier, 16 et 17 juillet 2006).
Réservez vos places pour le festival.
Présent également à Montpellier pour une série de cours d’interprétation (18-21 juillet), Ciccolini termine son séjour au Festival par un récital (Beethoven/ Ravel/Falla) au Corum le samedi 22 juillet à 20h.
(1) N’oubliez pas la petite laine si vous avez prévu de vous rendre au Corum !
(2) Les deux ouvrages de Pizzetti étaient annoncés comme des créations. Il semblerait toutefois que le Concerto ait été donné par Marisa Boriello il y a un trentaine d’années à la Radio, avec ce que l’on appelait à l’époque le Nouvel Orchestre Philharmonique.
(3) Enregistrement disponible à coté des autres concertos par le même interprète au sein d’une superbe anthologie Saint-Saëns en 5 CD (EMI 5 86128 2)
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