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« Mythologies » par le Chœur de Radio France / Palazzetto Bru Zane – Ces nymphes, je les veux perpétuer – Compte-rendu

 

 Sous l’égide du Palazzetto Bru Zane, le Chœur de Radio France proposait un concert de raretés du XIXfrançais. Trois œuvres pour solistes, chœur et piano, composées en l’espace d’une décennie par trois compositeurs appartenant à peu près à la même génération, trois œuvres à sujet mythologique, mais trois partitions aussi distinctes que possible, illustrant des esthétiques presque opposées entre elles.
 
Cher au Centre de musique romantique française, Théodore Dubois est le plus âgé des trois compositeurs, mais à peine : il était né en 1837, Fauré en 1845 et Benjamin Godard en 1849. Pourtant, dans Hylas, il semble s’inscrire dans une mouvance bien antérieure : sa composition est une sorte de mini-opéra à numéros, avec des poncifs comme le chœur des buveurs (« Buvons ! Buvons ! Tous les bonheurs de la terre, nous les avons ! »), qui fait penser à Gounod ou à Ambroise Thomas. Le théâtre est timide, le héros s’exprime en un monologue sans éclats, et la pièce se conclut rapidement sur un chœur de nymphes qui vouent le jeune intrépide à la mort.
 

Karine Deshayes © Aymeric Giraudel 
 
Donnée aussitôt après, La Naissance de Vénus nous transporte dans un autre monde. Composée vers l’époque où Fauré écrivait avec Messager ses Souvenirs de Bayreuth, elle révèle une influence wagnérienne, dans ses chromatismes et ses lancinants motifs répétés. Le poème lui-même est presque un texte continu, où seule la voix de Jupiter forme un « personnage » autonome. Si le dramatisme n’est pas non plus le point fort de Fauré, l’œuvre n'en appartient pas moins à un univers musical bien éloigné de celui de Dubois, Puvis de Chavannes plutôt que Bouguereau.
 

Benjamin Godard (1849 - 1895) © PBZ - fonds Leduc

Après l’entracte, Diane de Benjamin Godard évoque comme une possible « troisième voie » : le poème est du même auteur que celui d’Hylas, avec son alternance de chœurs féminins et masculins et ses deux solistes, mais Godard était, lui, un véritable compositeur de théâtre. Même s’il aime à répéter certains vers comme un refrain, même si sa musique moins audacieuse que celle de Fauré, elle frappe par l’habileté avec laquelle elle sait camper des protagonistes dont l’affrontement se fait véritablement opératique dans les dernières minutes.
 

Michael Arivony © DR
 
Pour servir ces trois compositions contrastées, l’acoustique du Grand Auditorium de Radio France permet aux interprètes de ne jamais avoir à forcer : le pianiste Romain Descharmes touche le clavier avec une grande délicatesse, comme il sied à ces œuvres chambristes. Dirigé avec souplesse par Josep Vila i Casañas (photo), Le Chœur de Radio France distille lui aussi des sonorités éthérées d’une belle transparence, tout en sachant s’élever à la hauteur des enjeux dramatiques, chez Benjamin Godard surtout.
 
Deux solistes assurent les différents rôles, humains ou divins. On a récemment pu applaudir le talent de Michael Arivony dans L’Ancêtre de Saint-Saëns à Monte-Carlo (1), et ce concert donne l’occasion d’apprécier à nouveau ses qualités de diction et son investissement, en particulier en Actéon dans l’œuvre de Godard. Karine Deshayes, qu’on sait souveraine dans l’opéra français du XIXe siècle (en témoignent les Gounod et Meyerbeer qu’elle a pu chanter à Marseille), livre ici une nouvelle preuve de son adéquation idéale avec cet univers, où sa voix s’épanouit de la plus belle façon. A quand un enregistrement ?

Laurent Bury
 

> Les prochains concerts de musique vocale en Ile-de-France <

(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/lancetre-de-saint-saens-monte-carlo-les-bons-princes-font-les-bons-amis-compte-rendu

Archives du Siècle Romantique (85) : La création de L'Ancêtre vue par Fauré : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-85-gabriel-faure-temoin-de-la-creation-de-lancetre-de 
 

Paris, Auditorium de Radio France, 5 décembre 2024

Photo © DR

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