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Nathalie Stutzmann dirige l’Orchestre du Capitole de Toulouse – Le grand saut – Compte-rendu
C’est décidément le grand saut : pour Nathalie Stutzmann, qui à 58 ans, est devenue l’une des figures de proue de la baguette internationale, notamment à Atlanta dont elle dirige le Symphony Orchestra et au Philadelphia Orchestra, où elle est premier chef invité depuis 2021. Parmi les figures féminines qui affluent aujourd’hui sur l’estrade de chef d’orchestre, elle tient le haut du pavé, et l’a à nouveau démontré avec un programme passionnant dans sa diversité. Avec l’une des meilleures formations françaises, l’Orchestre du Capitole, qui pour une fois était monté à Paris, alors que d’ordinaire c’est plutôt vers le Capitole que l’on monte !
Nul n’a oublié que Stutzmann fut l’une des plus grandes chanteuses françaises, avec un timbre unique et un registre de contralto particulièrement rare, qui lui a fait graver des instants baroques magnifiques. Puis vint la transition, alors qu’elle avait toujours été passionnée par la direction d’orchestre : époque où, chantant et dirigeant à la fois, elle mêlait souplement ses deux talents. Aujourd’hui, on note que le programme distribué à la Philharmonie de Paris, où elle se produisait donc après avoir donné le même concert à Toulouse, ne fait même plus allusion à ce passé de cantatrice, pourtant exceptionnel. Une page est tournée, et l’agenda de la passionaria de la baguette particulièrement chargé, et enluminé de commentaires enthousiastes, car sa présence à Bayreuth l’an dernier pour diriger Tannhäuser – elle y retournera d’ailleurs cette année – n’est pas passé inaperçu.
Stutzmann, c’est un tempérament de feu, certes, mais aussi une gestique élégante, avec des mains admirables, et un sens des nuances qui témoigne de l’attention qu’elle porte aux instrumentistes et pas seulement à l’œuvre et à sa vision personnelle. On a donc pu en juger dans ce programme qui marquait lui aussi, comme une succession de trois tempéraments, de trois mondes, de trois façons de faire parler la musique, sorte de grille de lecture d’une histoire des mentalités.
Superbe introduction, riche et charnue plus qu’à l’ordinaire pour cette œuvre transparente, même dans ses accès douloureux qu’est la Symphonie concertante pour violon et alto KV 364 de Mozart, où les archets et les sonorités raffinées de Veronika Eberle (un peu acides cependant par moments) et d’Adrien La Marca traçaient délicatement une sorte de plainte douce puis une invite joyeuse, sur ce fond de pure poésie.
Puis les grandes vagues de la Troisième Symphonie op.90 de Brahms, déployées avec énormément de velouté par les cordes du Capitole, rehaussées par d’excellents cors, et que le bras de Nathalie Stutzmann battait avec une sorte de nécessité, sans peut être lui accorder les souples changements de modes et de climat qu’elle requiert. Parfois un peu trop de finesse, parfois un peu trop de rigueur. L’ampleur dans l’harmonie qui fait le ton si particulier de Brahms se faisait un rien attendre, mais s’est heureusement déployée dans le populaire Poco allegretto, et dans le superbe épanouissement du final.
Pour finir, le morceau des grands jours, qui permet à l’orchestre de se jeter dans l’action et au chef de se livrer à tous ses démons : l’ouverture de Tannhäuser, chatoyante, grisée, grisante, mariant superbement les percussions et les frémissements d’un orchestre bouillonnant, auquel la salle a réservé un accueil enthousiaste. Trois mondes se sont ainsi succédés, avec des finales révélateurs : la joie , l’élan vital chez Mozart, pour mieux vaincre la tristesse de chemins difficiles, bref, la tradition classique, puis, au contraire, la fin effilée, ouverte sur des lendemains sans forme, comme absorbés par le cosmos, chez Brahms, enfin la combattivité et le lutte pour un avenir glorieux dessiné, rêvé par Wagner : un programme auquel Nathalie Stutzmann et le bel orchestre toulousain ont su faire dire l’essentiel.
Jacqueline Thuilleux
Philharmonie de Paris, le 5 février 2024
Photo © Romain Alcaraz
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