Journal
Nice - Compte-rendu : la Veuve rusée de Wolf Ferrari, folies douces
Cette Vedova scaltra (La veuve rusée) que Montpellier avait vue en 2004 et que l’Opéra de Nice reprenait à propos est un des bijoux inspiré par Goldoni à Ermanno Wolf Ferrari (photo), et aussi l’un de ses opéras les moins revisité à la scène en comparaison d’ I quattro rusteghi, des Donne curiose ou d’Il campiello. Inexplicable, car la musique en est délicieuse, avec son savant mélange entre des rythmes populaires et pourtant complexes, une écriture lyrique très recherchée et truffée de références, et l’action souvent désopilante.
René Koering s’en est donné à cœur joie, jouant avec une certaine virtuosité des caractères nationaux des quatre prétendants, ne craignant pas la charge – son Don Alvaro di Castiglia en grand d’Espagne fêlé, accompagné par son mini toro de fuego était absolument irrésistible – et produisant au final un spectacle aussi désopilant que juste. Avec des images à la Fellini totalement déjantées, comme cette myriade de combinés téléphoniques tombant des cintres assaillie par un détachement de bonnes sœurs en cornette, ou cette télévision géante qui affiche Viva Berlusconi et produit des images vivantes toutes plus saugrenues les unes que les autres. On en oublierait parfois un peu trop qu’on est à Venise, et que la Vedova scaltra est absolument une comédie lagunaire, qui se déroule dans le sillage du carnaval. Arlequin, le valet classique des comédies de Goldoni atteste de cette présence du théâtre de carnaval qui sous-tend les situations et la dramaturgie de la pièce originale.
Le rythme endiablé de l’ouvrage ne laisse aucun répit au spectateur, et l’on ressent bien cette impression de se trouver souvent à la limite de l’ivresse que voulait Wolf-Ferrari. La direction sur les pointes de Marco Guidarini, qui avait signé l’enregistrement discographique (1) de l’œuvre à Montpellier mais n’avait pu en diriger les représentations, guide avec élégance un orchestre qui a fort à faire. Car si Wolf-Ferrari écrit pour la muse légère, sa musique est incroyablement difficile à mettre – et à tenir ! – en place, en fosse mais aussi sur le plateau où on avait réuni une distribution particulièrement luxueuse reprenant la Marionette (Henriette Bonde-Hansen, piquante et fruitée à la fois, triomphant avec éclat de ses périlleuses coloratures) et l’Arlecchino (Evgeny Alexiev, en voix un peu indurée, mais toujours aussi fin comédien) du disque, et proposant rien moins que Franco Pomponi pour un Milord Runebif flegmatique à souhait, et Giovanni Furlanetto, voix de bronze et style impeccable pour Don Alvaro.
La difficulté du cast de La Vedova scaltra se situe dans la typologie vocale des quatre prétendants : deux barytons, oui, mais avec une tierce plus grave pour Don Alvaro, et deux ténors, l’un buffo pour Monsieur le Bleau, le français, un coiffeur bien sûr, et l’autre lyrico spinto pour le vainqueur des faveurs de Rosaura, pour lequel Wolf-Ferrari écrit un air particulièrement périlleux au II, où l’orchestre est toujours à contre tonalité de la ligne de chant qui parodie elle même un arioso du bel canto romantique. Pour Monsieur Le Bleau le timbre corsé de Giorgio Turco donnait une dimension plus piquante qu’à l’habitude, alors que le ténor cuivré, très spinto, presque trop, d’Andrea Giovannini, indiquait clairement qu’il remporterait le cœur de la veuve.
C’est à Rosaura que Wolf-Ferrari a réservé quelques chausse-trapes redoutables. L’écriture en est absolument viennoise, très inspirée par Lehar. Et difficile à un point que la facilité de la musique ne parvient pas totalement à le faire oublier. Un peu en danger sur le passage du haut médium, Victoria Loukianets triomphait de ces pièges, et campait une Rosaura subtile, plus petite femme de Goldoni que grande intrigante. Bien vu, et en accord parfait avec une mise en scène décidément réussie. René Koering d’ailleurs y veillait personnellement au long du spectacle : son portrait façon Warhol Factory trônait au mur de la chambre de Rosaura !
Jean-Charles Hoffelé
(1) un coffret de deux CD Accord 4762675
Wolf-Ferrari : La Vedova scaltra, Opéra de Nice, le 2 mai 2007
Vous souhaitez réagir à cet article ?
Les autres comptes rendus de Jean-Charles Hoffelé
Photo : DR
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD