Journal
Offenbach inédit à l’Opéra du Rhin - Barkouf, nom d’un chien - Compte-rendu
Le moindre que l’on puisse dire est que cette nouvelle production tombe à pic, tant elle offre de résonances avec l’actualité sociale d’aujourd’hui.
Cette œuvre d’Offenbach, absolument inconnue et oubliée depuis sa création à Favart en 1860 avait eu une genèse difficile, censurée pour sa subversion et sa charge contre le pouvoir de Napoléon III. Car, même si l’action se passe à Lahore, avec un Grand-Mogol et quelques autres clichés orientaux, même si l’intrigue tourne autour d’un contrat de mariage forcé auquel il faut apposer « sa griffe », Barkouf est avant tout l’histoire d’un peuple qui se révolte contre la tyrannie et le despotisme de son dirigeant ; un chien prend alors le pouvoir, le gouverneur Barkouf qui, par l’intermédiaire d’une jeune marchande de fleur, redonne au peuple sa voix, justice et liberté.
© Klara Beck / Opéra national du Rhin
Mariame Clément qui signe la mise en scène, rebondit avec finesse sur le propos, en gommant toute « couleur locale » et le replace gentiment dans le contexte brûlant actuel ; ce qui nous vaut pêle-mêle : un ballet de masques irrésistible qui représentent l’ensemble des candidats français à la présidentielle (dont les actuels premier ministre et président de la République), la niche du chien Barkouf au milieu d’un décor d’archives débordantes et de tours de dossiers administratifs, qui du deuxième au troisième acte triple de volume, de taille de chien à taille humaine, avec une banderole « Liberté-Egalité-Croquettes », un numéro de clown muet (admirable) d’un personnel administratif en costume gris dont les chaussures couinent, qui passent et repassent devant le rideau, avec des piles de dossiers plus ou moins vertigineuses et des astuces à la Tex Avery pour ne pas les faire tomber, la victoire des femmes et en particulier de l’intrépide Maïma qui non seulement s’empare du pouvoir avec son chien mais récupère au passage son amoureux, sans compter la sortie d’un vrai petit chien (on n’en dira pas plus)…, le tout combiné à une musique incroyablement créative, coquine, spirituelle, chatouillante, qui réunit et exige toutes les qualités vocales et endurantes de l’Opéra-comique, rythmiques, dynamiques et légères de l’opérette. On rit donc. Avec en tête, une pensée pour les mises en scène de Laurent Pelly dont on retrouve l’ambiance foutraque et délirante : sans doute Mariame Clément s’en est-elle nourrie et un peu inspirée (?). La fièvre, l’audace d’une intrigue, d’un texte et d’une musique totalement méconnus du public en plus.
© Klara Beck / Opéra national du Rhin
Les soirs de Première sont rarement les meilleurs. Et l’on mettra les quelques réserves musicales sur ce compte… Car du côté de la fosse, on aurait bien réveillé les troupes ! Sans rythme extrêmement tenu, précis, rigoureux, dans ce genre de répertoire, tout s’effiloche. Le chœur est en décalage dès le début ; pour sa défense, la prosodie relève de l’impossible gageure, mais cela interdit d’autant plus tout soupçon de mollesse. Au premier acte, les voix des protagonistes paraissent un peu courtes, ce qui ne serait pas un problème majeur s’il y avait la dynamique, ressort essentiel de toute comédie. Jacques Lacombe qui défend Barkouf « avec enthousiasme », se réserve au démarrage avec prudence. Cela s’arrange par la suite et une deuxième écoute serait nécessaire pour vérifier si ce petit manque au décollage relève de l’œuvre (assez géniale, mais complexe dans sa narration et un peu mal ficelée ?) ou de l’effet paralysant d’une telle première de première mondiale.
© Klara Beck / Opéra national du Rhin
Le plateau vocal est homogène, globalement bon, et les emplois bien distribués. Mais il a surtout l’immense avantage de faire découvrir de jeunes artistes de l’Opéra Studio de l’OnR, de s’amuser, de jouer, de défendre avec jubilation et un bel esprit de troupe, cette œuvre totalement hors norme. Peut-être peut-on regretter la voix un peu pointue de Pauline Texier ? Elle est une formidable et très crédible Maïma aux allures d’Audrey Hepburn, rôle fort exigeant vocalement. La Balkis de Fleur Perron est une belle mezzo, Xaïloum, son amoureux de ténor (Stefan Sbonnik) pourrait bien faire reparler de lui. On aurait vraiment apprécié plus longue prestation du Grand-Mogol tant Nicolas Cavallier y est convaincant. Bravo à Rodolphe Briand qui tient le rôle écrasant de Bababeck, et à Loïc Felix, parfait Kaliboul, au potentiel comique ravageur.
Reste l’initiative remarquable d’Eva Kleinitz, directrice générale de l’Opéra du Rhin, de proposer cette première interprétation mondiale depuis sa création… « Un total hasard » confie-t-elle avec humilité, « une lecture d’un magazine allemand qui mentionnait cette œuvre d’Offenbach ». Le propos l’a séduite. Quel flair !
Gaëlle Le Dantec
Offenbach : Barkouf ou un chien au pouvoir de Jacques Offenbach (nouvelle production de l’Opéra national du Rhin en coproduction avec l’Oper Köln) – Strasbourg, Opéra, 7 décembre ; prochaines représentations les 9, 11, 13, 17, 19 et 23 décembre 2018, puis à Mulhouse (La Filature) les 6 et 8 janvier 2019 / www.operanationaldurhin.eu/fr
© Klara Beck / Opéra national du Rhin
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