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Ouverture du Festival Musica Strasbourg - Pouvoir du son - Compte-rendu
Musica fête ses trente ans d'existence. Le festival strasbourgeois, véritable balise de la création contemporaine, a toujours manifesté un certaine goût pour le monumental, une « signature » pleinement assumée cette année par Jean-Dominique Marco, qui dirige la manifestation depuis 1990. En effet, ce sont trois œuvres nouvelles, écrites pour grand orchestre, qui inaugurent cette édition de Musica : trois œuvres relativement longues – approchant ou dépassant la demi-heure – confiées à l'interprétation experte de l'Orchestre symphonique de la SWR Baden-Baden et Fribourg et de son chef François-Xavier Roth.
Quand Marc Monnet (photo) (né en 1947) s'attaque au genre du concerto – monument de la littérature musicale occidentale s'il en est – il le fait en affichant haut son irrespect bienveillant : l'œuvre s'intitule mouvement, imprévus, et... pour orchestre, violon et autres machins. C'est cependant bel et bien un concerto, qui ne prend son sens qu'avec la virtuosité et surtout la grande intelligence musicale du soliste Tedi Papavrami. Marc Monnet ne déconstruit en rien la forme « concerto ». C'est tout au contraire : il s'appuie sur elle pour mieux déjouer les attentes qu'elle suscite. L'œuvre navigue ainsi entre esprit romantique et folle mécanique, les quelques « machins » sonores – revolver, sifflet, klaxon – contribuant finalement beaucoup moins au caractère fantaisiste que l'incessant jeu de passe-passe auxquels se livrent orchestre et soliste.
Le concerto de Marc Monnet livre d'emblée la thématique de ce concert, qui interroge la forme de l'œuvre musicale aujourd'hui, que le compositeur la revisite, quitte à la pervertir – comme c'est le cas avec ce concerto – ou qu'il cherche à l'inventer. C'est ce que proposent Yann Robin et Georg Friedrich Haas, dans des œuvres où la forme dérive de l'invention sonore.
Avec son style « éruptif » et une écriture qu'il qualifie lui-même de « massive », on pouvait attendre de Yann Robin, né en 1974, qu'il fasse de l'orchestre une matière vivante. C'est bien ce qui opère dans Monumenta, mais de façon beaucoup trop fugace : l'ouverture et la conclusion de l'œuvre font bien entendre ce qui pourrait être le souffle de quelque gigantesque corps orchestral. La capacité du compositeur à élaborer le son avec une grande précision est ici flagrante et doit beaucoup à la fréquentation assidue de l'outil électronique. Mais, entre les deux, l'orchestre, divisé en quatre-vingt-quinze parties réelles, offre plutôt une succession de gestes où l'effet spectaculaire l'emporte sur le surgissement d'une forme.
Le contraste est saisissant avec la dernière partition inscrite au programme, limited approximations de l'Autrichien Georg Friedrich Haas (né en 1953), œuvre de 2010 donnée en création française. Six pianos accordés en douzième de ton sont au devant de la scène : ils constituent un méta-instrument monumental capable d'une extraordinaire finesse sonore. Ici, c'est bien l'invention sonore qui agit, se transmettant du piano à l'orchestre, et qui construit la forme. Pas de grands gestes spectaculaires ni la facilité du recours à la percussion (l'orchestre de Haas en est dépourvu), mais une musique toute en frictions, en perpétuel équilibre et finalement proche de l'état de grâce.
Après le grand orchestre déployé lors du concert d'ouverture, il était intéressant d'écouter sous casque, dans l'intimité de la salle du foyer de l'Aubette, Mode de « je », une création de Thierry Balasse, David Jisse et Christian Zanési construite autour des textes autobiographiques du compositeur Luc Ferrari (1929-2005) : la voix du récitant (David Jisse) et les sons infimes captés par les microphones de Thierry Balasse s'y mêlent pour construire une dramaturgie captivante. La forme ici n'est en rien techniciste, la musique se calant sur un déroulement essentiellement littéraire. La réussite de l'expérience sera encore soulignée par contraste, l'après-midi même, quand l'ensemble Multilatérale donnera à entendre La Nuit hallucinée, « opéra radiophonique » boursouflé et sans invention de Sebastian Rivas (né en 1975) où viennent se perdre les Illuminations de Rimbaud.
Achevant son parcours des formes, ce week-end d'ouverture de Musica 2013 s'achevait avec la reprise d'un opéra du jeune compositeur portugais Vasco Mendonça (né en 1977), créé l'été dernier au Festival d'Aix-en-Provence. The House taken over, adaptation lyrique d'une nouvelle de Julio Cortazar, est un opéra de chambre de facture très classique, qui se rapproche de l'univers de Britten tant par l'utilisation de la langue anglaise et de sa prosodie que par le rôle dévolu à la musique : presque exclusivement une projection de l'état d'esprit des deux personnages. En outre, cette histoire de frère et sœur peu à peu poussés hors de la maison de leurs ancêtres – et de leurs habitudes – par une présence fantomatique sans mal une soirée lyrique où serait donné Le Tour d'écrou. Excellent sous la direction d'Étienne Siebens, l'ensemble Asko/Schönberg porte avec précision cette musique qui sans être franchement inventive – et non sans clichés parfois – porte toujours le déroulement dramatique, avec la même clarté que la mise en scène de Katie Mitchell. Le festival se poursuit jusqu'au 5 octobre, avec des créations attendues, couvrant toutes les générations de la création contemporaine : de Francesco Filidei à Pierre Henry, en passant par Philippe Manoury.
Jean-Guillaume Lebrun
Strasbourg, Festival Musica, 20 et 21 septembre. Le Festival se prolonge jusqu’au 5 octobre 2013.
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Photo : Olivier Roller
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