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Paris - Compte-rendu : Carmen sans cibiche, au Châtelet
Les temps sont durs. Pas un clope pour les cigarières. On en est donc venu aussi sur les scènes lyriques à ce puritanisme hygiénique à l’américaine. L’image d’une volute de fumée s’engage à jamais dans les éthers de la mémoire collective pour disparaître de la réalité. Pour un peu, le public aurait dû savourer des havanes l’autre soir, car un premier acte de Carmen sans ce léger parfum de nicotine, ce n’est plus tout à fait Carmen. Mais depuis longtemps le public n’a plus le droit de fumer au théâtre, depuis bien plus longtemps que les comédiens en scène ou en coulisse. On voit par où la répression a commencé. Et puis, vous savez, les théâtres flambent !
Pour Martin Kusej de toute façon, l’absence de cigarette n’est pas un problème en soi. Il a vidé sa Carmen de toute Espagne, sinon de vagues références au franquisme, et alourdi le destin que Mérimée avait souligné d’un trait si léger. Après tout dans Carmen seule Carmen meurt, mais là aussi Zuniga, Escamillo et tant qu’à faire Don José. Allez, zou, faisons dans la dentelle. D’ailleurs Don José est fusillé dés l’ouverture, Kusej a interprété le forte qui en effet évoque immanquablement un coup de feu, et le spectacle n’est donc qu’un grand flash-back. La manufacture de tabac devient un blockhaus silésien, l’auberge de Lillas Pastia un réservoir d’eau. La montagne du III se resserre dans une assez belle ruine d’église que Kusej peuple de tableaux vivants désopilant, peuple en insurrection ou en prière. Seul le IV convainc, plaza de toros noyée de soleil où la foule court en tous sens (voir la vidéo), procédé que le metteur en scène emploie systématiquement dans ses spectacles (Elektra, Lady Macbeth…).
Direction d’acteur grand-guignolesque qui n’aide pas les personnages, et handicape même Sylvie Brunet pour sa fuite au I.. Il fallait fermer les yeux, non pas que le spectacle soit indigent, mais au fond à cause des conventions qui l’encombrent : cette prééminence du sexe explicite pour les scènes de la manufacture, ces facilités dans les rapports entre les personnages - l’ascendant physique de Zuniga sur Don José à chaque fois signifié par cette méchante prise par les cheveux, le même geste de dépit répété tout au long du spectacle par le brigadier – le manque cruel de véritable intensité dramatique qui ne permet pas au personnage de se dessiner pleinement.
On espérait plus de Sylvie Brunet, visiblement peu à l’aise dans cette scénographie. Elle opte pour une Carmen qui dés son entrée a conscience de son destin. Cette Carmen surprend vocalement, de diction absolument française, avec un ton qui nous renvoie aux Solange Michel et autres prêtresses de l’Opéra comique, mais de voix italienne. On croit retrouver la phonation si particulière d’une Stignani, d’une Simionato, ce qui ne lasse pas de surprendre surtout quand on a encore dans l’oreille la Carmen si naturelle, si moderne de Béatrice Uria-Monzon, entendue voici peu à Toulouse. Et la distribution elle même contrastait trop ses éléments français- Brunet, le Zuniga impeccable de François Lys, l’autre grand tenant du rôle aujourd’hui avec Jérôme Varnier, Piolino formidable Remendado, Gaëlle Le Roi et Nora Sourouzian, Frasquita et Mercédes de rêve – avec un trio de premiers rôles étrangers composant du mieux qu’ils pouvaient avec ce français rebelle, impitoyable.
Don José stylé de Nikolai Schukoff, mais beaucoup trop lyrique de voix, sans métal, forcé par son instrument à une composition en demi-teinte qui rendait le personnage vraiment trop pusillanime, Escamillo en grande voix de baryton basse, avec un grave creusé, de Teddy Tahu Rhodes, avec trop d’accent dans les voyelles hélas, mais quelle prestance. Celle qui passait le mieux le terrible examen de la langue était encore Mercedes, Genia Kühmeier, irradiante, mais conquérant parfois ses aigus en force, pas idéalement le personnage malgré tout l’art qu’elle mettait à son chant. Est-ce donc si difficile, sinon pour Don José, de réunir aujourd’hui un cast absolument français pour Carmen ?
La révolution espérée n’eut donc lieu qu’en fosse. Car l’électricité que produisent Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre, mais aussi cette poésie des timbres, cette exactitude des articulations, c’est d’un coup la vérité de l’orchestre de Bizet qu’ils ressuscitent. Et qui nous fait Carmen soudain plus moderne, plus vivante encore qu’on le croyait.
Jean-Charles Hoffelé
Bizet : Carmen, Théâtre du Châtelet le 12 mai, puis les 15, 17, 20, 22 et 28 mai 2007
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Photo : Marie-Noelle Robert
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