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Paris - Compte-rendu - Krystian Zimerman : la poésie d’un perfectionniste
Il existe deux sortes de concerts : ceux qui vous font passer un moment plus ou moins agréable et ceux qui vous bouleversent, qui vous transforment. Krystian Zimerman fait partie de ses musiciens capables de distiller cette magie ineffable, ce souffle divin qui vous connecte d’emblée à la matrice universelle. Oui, quel délice de se trouver là, ce soir du 14 juin 2005 au Théâtre des Champs-Elysées.
Mozart tout d’abord avec sa Sonate en do majeur (KV330). Dans un son chaleureux et toujours suave, Zimerman livre des lignes chantantes et finement ciselées. A chaque phrase son élan, sa couleur, son intention. Dans un esprit proche de la musique de chambre, le pianiste nous fait partager son insatiable travail d’orfèvre. L’économie du geste et de l’articulation souligne un profond souci de précision et de justesse. En intense communion avec son instrument, Zimerman met également à jour l’exquise fragilité de Mozart, sa déroutante simplicité et cet incomparable brin d’humour acidulé. Son piano, digne prolongement de lui-même, il le connaît par cœur et l’entraîne depuis des années sur les scènes du monde entier. Une des raisons, peut-être, de cette alchimie insaisissable entre l’homme et l’instrument.
On change radicalement de ton avec les Valses Nobles et Sentimentales de Ravel. Après un départ percussif et précité à souhait s’enchaîne un carnaval de couleurs et de nuances. La deuxième pièce (« Assez lent ») jouit d’un tempo distendu, presque statique. La technique du pianiste se mue en une danse souple et lascive évitant les attaques brutales au profit d’un contact généreux et charnu. Il n’y a plus alors qu’à se délecter avec Zimerman des harmonisations salées et douces-amères. Un ravissement impressionniste jusqu’à l’Epilogue, qui reprend en toile de fond les principaux thèmes de l’œuvre.
La première partie du récital se conclue par la 4ème Ballade de Chopin. Le début souffre d’un léger manque d’élan, vraisemblablement afin de mener un crescendo dans la passion. Le discours s’étoffe effectivement mais ne parvient pas à émouvoir avant le cataclysme final. L’aurait-on finalement trop entendu cette 4ème Ballade ?
Entièrement consacrée à Chopin, la deuxième partie débute par les Quatre Mazurkas op.24. Le pianiste s’y révèle très direct. Nets, précis et vite expédiés, ces petits bijoux de caractère font office d’amuse-gueules avant la dramatique Sonate en si bémol mineur op.35. Dans le premier mouvement Grave – Doppio movimento, Zimerman conjugue le « brut » et le « lyrique ». De cette partition complètement intégrée, il dégage des pulsions de vie et de mort. Le Scherzo incarne toujours cette dualité, ce combat de forces antagonistes. Puis, après un long silence, le pianiste très concentré entame d’une main gauche profonde et lancinante, les premières mesures de la Marche Funèbre. La plainte enfle, grossit. Elle devient énorme, inévitable. Le crescendo – gigantesque- est mené avec une science minutieuse du son et de la tension. L’épisode en mode majeur fournit un échappatoire providentiel à ce mouvement sombre et obsessionnel. Et là, on ne sait plus ce qui se passe car c’est au-delà des mots et de la musique elle-même. Des larmes se mettent à couler sur votre visage, votre cœur bat en sourdine et vous cessez de respirer. Tant d’humanité et de tendresse au milieu d’un paysage aussi noir, c’est un miracle tout simplement. Nimbée d’une aura salvatrice, le piano de Zimerman nous englobe dans sa bulle. Le temps a cessé de couler. Nous vivons un état de grâce.
Mais revoilà, dans les profondeurs du clavier, le funeste ostinato. Il ne revêt plus sa puissance de tout à l’heure mais au contraire, décline insidieusement, s’efface, jusqu’à devenir imperceptible. Et sous les doigts alertes du pianiste déferle soudainement le Presto final avec ses traits désordonnés et chaotiques. Suivront une ovation fracassante et d’interminables saluts, mais il n’y aura pas de rappels. Parce qu’il n’y a rien à ajouter.
Nicolas Nativel
Théâtre des Champs-Elysées, 14 juin 2005
Photo: DR
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