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Paris - Compte-rendu - Noces nomades en Transylvanie
C’est un peu l’histoire de l’Europe que nous raconte cette jolie aventure baroque ; chronique d’une Transylvanie plurielle, faite de rencontres, d’échanges, de métissages. Convoitée par les Turcs et le Saint-Empire, elle est alors hongroise, roumaine et allemande à la fois ; de surcroît refuge pour les tziganes, Ruthènes, Arméniens et juifs qui y trouvent un climat de tolérance inconnu ailleurs.
Un document singulier rend compte de cette diversité : le Codex Caioni, qui fut le manuscrit de travail de l’organiste d’un monastère reculé de la principauté au XVIIème siècle. Personnalité mystérieuse autant qu’attachante, ce Johannes Caioni, né orthodoxe en 1629, se fait catholique en 1648 et moine franciscain en 1650, avant d’être nommé évêque et vicaire général de Transylvanie par le pape Innocent XI en 1678.
Avant tout, Caioni témoigne dans ce recueil d’un surprenant éclectisme et interroge tous les styles du temps, vénitien avec l’école de Saint-Marc, romain avec le dramatisme de Carissimi et germanique avec les motets luthériens laissés par Schütz. Ceci, sans cesser de rester au fait des formes de musiques populaires, touche-à-tout avide de savoir, mais surtout jaloux de sa liberté, à l’image du petit lièvre fuyant les chasseurs (métaphore dont il avait fait son emblème).
Dans le sillage d’un très récent enregistrement revisitant une vingtaine de pièces dudit recueil (disques Arion), Jean-Christophe Frisch et son ensemble Le Baroque Nomade viennent donc d’en théâtraliser les musiques à travers ces « Noces Tziganes » célébrées Salle Gaveau avec le concours et les intuitions de valeureux artistes traditionnels, le questionnement musicologique étant toujours associé ici au travail sur le terrain.
En d’autres termes, la complicité est quasi parfaite entre le quatuor vocal, conduit par le soprano ductile de Cyrille Gerstenhaber qui relève vaillamment le défi expressif et technique – à un ou deux petits écarts près – dans la vrillante complainte de la princesse Lupul pleurant la perte de son amour et la défaite de son pays, et un instrumentarium métissé avec un bonheur rare. Aux rythmes rustiques des violons, altos, Bratsch (un descendant de la défunte lira da braccio italienne) et violoncelle, dans la mouvance des tarafs du cru, répondent les timbres du concert dit savant (flûte, gambe, théorbe, clavecin, orgue, etc. …) où se remarquent la traversière agile de Jean-Christophe Frisch et les percussions expertes de Pierre Rigopoulos. On souhaite longue vie aux nomades du Codex Caioni qui nous promènent ainsi du recueillement du sanctuaire à l’euphorie d’une noce de village, czardas stimulantes et virtuosité imparable des danseurs (Virag Endre et Tüzes Csilla) à l’appui ; la finalité du projet étant simplement de nous faire rêver à ce que la réalité de l’époque a pu être.
Roger Tellart
Salle Gaveau, le 2 décembre 2008. Ensemble XVIII-21 dirigé par Jean-Christophe Frisch
> Les prochains concerts à la Salle Gaveau.
> Vidéo de l’Ensemble XVIII-21 au concert du « Baroque des Philippines »
Photo : DR
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