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Paris - Compte-rendu : Vive Destouches !
Quoi, un amateur pour succéder à Lulli (nous ergotons mais nous n’aimons pas le y dont les savants l’affublent) ! Ex-pseudomissionnaire au Siam dans le sillage du Père Tachard, puis Mousquetaire du Roi, Destouches composa son premier opéra, Issé, qui fit un tabac, sans savoir écrire la musique. C’est assez dire que son génie était ardent. On s’est régalé à son Carnaval et la Folie comme l’on était tombé raide devant la puissance suggestive de Callirhoé ou les fines splendeurs des Eléments.
C’est la grâce des amateurs de tout oser, ils sont plus libres, moins apeurés par la science que leurs doctes confrères, ils échappent aux académies et aux courants, leur ignorance des bonnes mœurs conserve intactes leurs singularités. Lorsqu’en plus ces génies irrépressibles illustrent un genre en mutation, comme l’opéra français d’alors, ils brillent d’un éclat singulier. Dans un autre contexte mais également à un point nodal du théâtre lyrique italien, l’Arianna de Benedetto Marcello, autodidacte absolu, atteint aux mêmes sommets d’inventivité.
Ce que Destouches produit, aussi bien pour le chant, rivés aux mots de Houdar de la Motte, que dans son orchestre, est une partition incroyablement moderne, qui nous parle, nous tutoie et cette modernité fait justement jurer le méchant « françois » qu’on veut y mettre. Encore une fois, si les questions que les chercheurs se posent sont bonnes, les systèmes qu’ils apportent en réponse ne fonctionnent pas.
On l’a bien vu lorsqu’une salle manqua de s’esclaffer devant le méchant « mouai » d’une Folie qui ne voulait dire que moi. Ce sabir à fort relent agricole risque pourtant de devenir la coqueluche du moment...Tout le problème est de savoir combien de temps on continuera à polluer ainsi la redécouverte d’une part fascinante de notre répertoire lyrique, et l’on est bien aise de lire Hervé Niquet (1) qui nous apprend que « La résultante est musculaire ».
Bizarrement le gain sur les résonateurs qui apparaît être la grande affaire de cette nouvelle rumination des mots semble rendre les voix plus ternes, en appauvrir les harmoniques, outre qu’il interdit tout vrai canto piano. Et clairement, pour les chanteurs de l’Académie baroque européenne d’Ambronay, l’exercice n’était pas une sinécure : on les sentait beaucoup plus libres dès qu’ils oubliaient la manière pseudo-philologique. C’est que parler une langue ne s’improvise pas, ne se remplace pas par quelques réflexes, et pour l’heure seul Eugène Green et Benjamin Lazar peuvent tenir entre eux une discussion dans ce patois systématique sans risquer le fou rire. Il serait bon qu’ils gardent cette pratique domestique.
A ce système malheureux s’ajoutait celui d’Hervé Niquet, augmentant un certain malaise. Son orchestre bodybuildé ne manque pas d’élan, mais ô combien de charmes, de tendresses, de subtilités. Jamais rien de sensuel, rien d’hésitant non plus : on va droit au pas de charge. Cependant, le génie de Destouches survivait à cette manière furieuse, qui sur un air éploré faisait chanter tout haut un méchant violon dont tout un chacun sentait qu’il devait jouer piano. Et ces gens sont musiciens pourtant.
Equipe vocale valeureuse : la Folie de Mélodie Ruvio montre de beaux moyens mais devra apprendre à phraser et à nuancer, le Carnaval de Paul Henry Villa ne méritait que des éloges, alors que le Momus de Marduk Serrano Lopez n’avait pas encore sorti sa voix. Splendide Jupiter de Marc Callahan, avec un métal, une projection déjà remarquable, délicieuse séance du Professor di pazzia, un joli contre ténor, Enrique Alberto Martinez Riviera : Destouches écrit à l’intérieur de l’Acte III un petit divertissement en italien subtilement troussé. Les élèves danseurs étaient lestes et joliment expressifs, le spectacle anodin ne froissait pas l’œuvre.
Jean-Charles Hoffelé
André Cardinal Destouches, Le Carnaval et la Folie, Opéra Comique, le 1e février 2008
(1) Dans le programme du spectacle, page 40, en réponse à une question d’Isabelle Battioni
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Photo : Opéra de Lyon/DR
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