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Paul Goussot improvise sur le Faust de Murnau au Festival de Laon – Superbement singulier - Compte-rendu (orgue)
La console de l'orgue Allen © DR
Première remarque, pour couper court aux diatribes des puristes : d'accord, ce n'est pas à proprement parler de l'orgue. Mais c'est bel et bien de la musique, ne serait-ce que par l'entremise de celui qui touchait cet Allen inspiré des Wurlitzer et autres Christie : Paul Goussot, titulaire du Dom Bédos, reconstruit par Pascal Quoirin, de Sainte-Croix de Bordeaux, improvisateur réputé dans le domaine de l'esthétique classique française, maintes fois apprécié dans cet exercice de style ô combien périlleux et fascinant, notamment à Saint-Michel-en-Thiérache. L'orgue de cinéma a complètement disparu en France – le seul vrai survivant, le Christie (1930) du Gaumont Palace, n'est plus guère audible (3) –, mais il survit dans les pays anglo-saxons. La firme américaine Allen (Pennsylvanie) propose une gamme d'instruments numériques reproduisant des orgues de cinéma : un grand quatre claviers était à Laon pour ce ciné-concert. Si l'acoustique de la salle n'était certes pas optimale, la judicieuse disposition de l'amplification derrière le vaste écran n'en restituait pas moins avec justesse aussi bien les timbres, et ce « trémolo » si caractéristique de l'orgue de cinéma (mais nullement omniprésent), que l'indispensable spatialisation des effets.
Au programme : Faust (1927) de Friedrich Murnau, chef-d'œuvre expressionniste des plus noirs. Avec toutefois un happy end librement en rupture avec la morale édifiante de Goethe : Gretchen sauvée non pas par Dieu, mais, beaucoup plus wagnérien, par l'Amour… 107 minutes d'accompagnement musical improvisé ininterrompu et sans la moindre faiblesse de régime : l'exercice est sidérant d'endurance, d'énergie instrumentale et d'invention musicale calibrée. Paul Goussot, dont on sait qu'il s'entend à merveille à improviser un grand plein-jeu sur pédale d'anches façon Couperin ou Grigny plus vrai que nature, répondit à l'œuvre intense de Murnau par un commentaire exempt de toute citation (pas de thème célèbre de Gounod ou de Berlioz), préférant concentrer et orienter un langage « symphonique » approprié vers un reflet sonore du climat si mouvant du film plutôt que vers un doublage redondant de chacune des situations, évitant ainsi tout risque de morcellement. Tour à tour dramatique et poétique, flamboyant mais sans emphase pour ne jamais surjouer au détriment de l'image et de son rythme propre, plein d'esprit et ménageant quelques bouffées d'air frais dans cette trame bien sombre (ainsi durant la scène de l'office, où d'ailleurs Murnau filme un orgue, un vrai, à tuyaux !), d'une continuité, dans la diversité, et d'un renouvellement dynamique faisant oublier la durée et bien évidemment l'effort constant que tout cela sous-entend, Paul Goussot se hissa au niveau de l'œuvre projetée – sans jamais trahir la dimension généreusement éphémère d'une telle performance, conditionnée par cette projection. Une autre fois, ce pourra être tout autre chose. Un art à part entière, de l'instant dans la durée, superbement singulier.
Michel Roubinet
Laon, Maison des Arts et Loisirs, 16 octobre 2016
(1) www.concertclassic.com/article/musique-dans-laisne-pas-de-fatalite-lechec-culturel-sur-un-territoire-rural
(2) www.orguesdelaisne.com
(3) www.lesamisdulouxor.fr/2011/11/lorgue-de-cinema-du-louxor-au-gaumont-palace/
Photo © R. Lefèvre
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