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Philippe Bianconi en récital à Gaveau – La simplicité d’un grand - Compte-rendu

L’éclairage de Gaveau est toujours aussi affreusement pisseux et glauque (quand on sait les merveilles que la technique permet d’aisément accomplir en ce domaine aujourd’hui…) , le Yamaha maison - d’avant le « miracle » CFX, hélas - s’avèrera incapable de tenir l’accord jusqu’à la fin de la soirée (pourtant il n’aura vraiment pas eu à subir les assauts d’un « tapeur ») mais... un formidable musicien est à l’œuvre et cela conduit à relativiser certains « détails ».
 
Tandis qu’un magnifique CD Chopin vient de sortir (1), Philippe Bianconi a rendez vous avec le public parisien pour un récital dont la première partie est occupée par les quatre Ballades du Polonais - saisissant « résumé » de l’évolution de son langage. Il est probablement le compositeur le plus populaire de la musique de piano mais aussi l’un des moins « faciles » quand l’on y regarde de près. Derrière le génie mélodique, l’audace harmonique, la complexité polyphonique signalent un créateur épris du passé - de Bach au premier chef - projeté vers le futur et, malgré tout, inscrit dans une époque dont maints aspects lui répugnaient.
 
De ce paradoxal génie, l’interprétation de Bianconi rend compte à la perfection. Pour les Chopin frimeurs, emphatiques, mèche en l’air ou souffreteux, cherchez ailleurs. On ne trouve pourtant rien de sage cependant sous ses mains, mais tout au contraire - et ce dans la continuité de ce qu’il nous a donné à entendre au disque – un insatiable besoin de sonder les tréfonds du texte musical. Une forme de risque qui a une autre gueule - et expose autrement - que la frénésie de certains Fangio de l’ivoire. Rarement on aura entendu les Ballades sonner avec cette acuité, cette souveraine maîtrise dans le déploiement de la polyphonie, cette capacité à tirer un parti expressif de chacun de ses points de tension. Quand un concert approche, je m’enferme et je travaille Bach, disait Chopin : on prend toute la mesure de cet aveu en écoutant Bianconi. De l’Opus 23 à l’opus 52, le juste caractère est toujours là, la suprême simplicité aussi et un sens de la grande ligne, de la narration qui signalent un interprète d’exception.
 
Après d’illustres versions – quelques affreuses aussi ! - on craint toujours un peu d’entendre les Valses. Stylisé, sans le moindre effet de manche, le triptyque de l’Opus 64 devient parfum de musique, avant une Barcarolle conduite avec une souple fermeté et comme happée par sa lumineuse conclusion. Sens de l’épure et lyrisme tout à la fois tenu et fervent distinguent le Nocturne op. 62/1 qui mène au 4ème Scherzo conclusif. Morceau visionnaire, il compte parmi les Chopin favoris de Bianconi – rien d’étonnant de la part d’un tel debussyste. Comme dans les Ballades, rigueur et liberté, simplicité, noblesse et poésie forment le sceau d’un pianiste dans la plénitude de son art. Et quel !
 
Alain Cochard
 
(1) 1 CD La Dolce Volta
 
Paris, Salle Gaveau, 7 octobre 2014

Photo © Bernard Martinez

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