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Piano aux Jacobins en Chine – Une internationalisation réussie
Si la France a souvent un temps de retard dans pas mal de domaines, le Festival Piano aux Jacobins de Toulouse fait en revanche figure de pionnier vis à vis d’un pays où d’immenses perspectives s’ouvrent pour la musique dite « classique » et le jazz. Soutenue dans sa démarche par BNP Paribas China, Airbus China, Air France et Total, la manifestation toulousaine est en effet présente en Chine depuis 2005 et y accroît progressivement le nombre de ses concerts. De trois soirées à Beijing en décembre 2005, on est passé pour la saison en cours à cinq tournées de quatre concerts dans diverses grandes métropoles (chacune de ces tournées est confiée en totalité à un pianiste – Dana Ciocarlie, Mu Ye Wu, Yaron Herman, Alexandre Paley et Bertrand Chamayou cette année) et à un mini-festival en mai-juin (partagé entre Shanghai et Beijing, avec Edouard Ferlet, Romain Descharmes et Stephen Kovacevich pour l’édition qui approche). Diversité de l’affiche, brassage de générations avec un accent prononcé mis sur les jeunes interprètes, belle place réservée au jazz : on reconnaît la signature de Catherine d’Argoubet et de Paul-Arnaud Péjouan, les directeurs artistiques de Piano aux Jacobins.
Les clefs du succès ? Comme l’explique Zhu Jing, la jeune directrice générale adjointe du Théâtre de la Cité Interdite, le développement de Piano aux Jacobins en Chine s’explique par « un désir de collaboration partagé entre Piano aux Jacobins et l’opérateur culturel Poly désireux de proposer des concerts de qualité. Présent dans la musique aussi bien que le cinéma, le théâtre, les ventes aux enchères ou la télévision, Poly gère près d’une dizaine de théâtres en Chine et propose de plus en plus de concerts de musique classique.» Francophile et francophone, Zhu Jing ne manque pas de saluer le « dynamisme de l’Ambassade de France et du Centre culturel français à Beijing et l’apport de la saison culturelle franco-chinoise de 2004 » et s’avoue séduite par « le caractère découvreur et le très bon niveau de la programmation proposée par Piano au Jacobins » où des concerts avec orchestre devraient bientôt faire leur apparition.
Pour l’instant, les auditeurs chinois découvrent en récital les divers artistes qui leur sont proposés. Du 26 mars au 1er avril, c’était au tour de l’Américain d’origine moldave Alexandre Paley d’entreprendre une tournée qui l’a mené successivement à Shenzhen, Wuhan, Zhengzhou et Beijing. De retour en Chine après un premier et bref séjour à Beijing en 2006, pour un concert de Piano aux Jacobins également, le pianiste ne cache pas son bonheur de poser le pied dans un pays où il a très peu séjourné mais dont la culture lui est familière grâce à son épouse taïwanaise, la pianiste Pei Wen Chen. Soyez vraiment maître de votre sujet avant de chercher à coller A. Paley sur les dynasties impériales ou les variétés de thé !
Sonate « Appassionata » de Beethoven, six Préludes de Rachmaninov, Sonate n°1 de Weber et six Etudes-Tableaux de Rachmaninov : un même programme occupe les quatre dates de la tournée chinoise d’A. Paley. Même programme ? Façon de parler car le pianiste appartient a ces interprètes qui, à chaque concert, se lancent dans une nouvelle aventure. Formé par Bela Davidovitch au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, Paley est russe jusqu’au bout l’âme. « Les Russes sont des gens comme les autres, mais juste un petit peu plus », rappelle-t-il avec humour. Un « plus » qui s’exprime par engagement et un goût du risque prodigieux. Rétrospectivement, les trois premiers concerts font figure d’expérimentations pour l’apothéose du concert de Beijing, en particulier celui de Wuhan où A. Paley fouille les textes et aiguise ses idées d’une stupéfiante manière. L’ « Appassionata » est une véritable lave en fusion, la Sonate en ut de Weber nous transporte sur une scène d’opéra, tandis que les polyphonies de Rachmaninov fourmillent de détails et fuient tout sentimentalisme.
Comme l’artiste nous le confie par la suite, la réceptivité du public a beaucoup contribué à l’atmosphère et au ton très particuliers de ce concert. Rien d’un hasard : Wuhan possède l’un des plus importants et des plus réputés conservatoires du pays après Beijing et Shanghai. On comprend dès lors la jeunesse et l’attention de l’auditoire massé dans la salle ultra-moderne à l’acoustique remarquable du Qintai Theatre. En face de ce lieu de 1800 places (construit entre 2005 et 2007) une salle de concerts de capacité à peu près équivalente s’élève depuis l’an dernier. L’inauguration aura lieu en octobre…2009 ! Des projets dont la qualité architecturale et les délais de réalisation surprennent le visiteur occidental autant qu’ils ouvrent de vastes perspectives pour la musique, à Wuhan comme au Shenzhen Poly Theatre, où l’on était la veille, ou au monumental Henan Arts Centre de Zhengzhou, étape précédant l’arrivée à Beijing.
Dans la capitale, le Théâtre de la Cité Interdite accueille comme de coutume le quatrième et dernier récital de la tournée Piano aux Jacobins. Construit en 1942 par l’occupant japonais et entièrement rénové en 1999, le lieu offre des dimensions plus intimistes (un millier de sièges) et une acoustique claire et chaleureuse qui ravit A. Paley. Le comportement du public surprend agréablement aussi celui qui a en mémoire son concert de 2006 et un auditoire assez bruyant et se retrouve dans un contexte totalement différent où pas une toux ou un portable n’est venu le perturber. On récolte sûrement là aussi les fruits du festival spécialement destiné aux enfants qui se tient depuis vingt ans, chaque mois de juin, au Théâtre de la Cité Interdite.
« La culture est une fleur précieuse qui demande du temps et du soin », me glisse Alexandre Paley entre deux chapitres de « Dieu dispose » de Dumas, le livre qui occupe ce musicien fou de littérature durant le vol de retour vers Paris.
Il pourrait vous parler des heures de l’auteur des « Trois Mousquetaires », comme de Chateaubriand, Proust ou Céline… La musique française le passionne aussi et il ne fait pas mystère de son amour immodéré pour Rameau.
Les œuvres pour clavier de ce dernier ponctueront d’ailleurs les six récitals que le pianiste donnera bientôt au cours du festival qui se tient pour la dix-septième année consécutive au Moulin d’Andé du 26 avril au 1er mai(1). Ce lieu a été parmi les premiers en France à accueillir Alexandre Paley et le musicien lui témoigne une indéfectible fidélité.
Alain Cochard
Alexandre Paley, Piano aux Jacobins en Chine, Shenzhen, Wuhan, Zhengzhou et Beijing, du 26 mars au 1er avril 2009
(1) Festival A. Paley « De Rameau à Bartok », du 26 mars au 1er avril, Moulin d’Andé, 27430 Andé. Infos : 02 32 59 70 00 / www.moulinande.com
Photo : DR
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