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Pierre Bleuse dirige l’Ensemble ULYSSES / festival ManiFeste 2024 – Échos, mystères et tempéraments – Compte-rendu

 

Tout s’apprend. Les jeunes musiciennes et musiciens de l’Ensemble ULYSSES, coachés durant une semaine par les solistes de l’Ensemble intercontemporain, auront pu, cette fois, découvrir l’un des charmes de la musique de création : le changement de programme. Exit la création prévue de la compositrice turque Senay Uğurlu, commande de l’Ircam, que l’on devine non livrée à temps. Pierre Bleuse (photo), qui dirige cette session de l’ensemble, a cependant de la ressource ; il programme à la place une autre pièce pour ensemble et électronique, Diwata de Feliz Anne Reyes Macahis, également une commande de l’Ircam, créée dans le même cadre en 2021. La compositrice philippine, née en 1987, s’inspire du chant, qu’elle traduit en belles couleurs instrumentales, mais à vouloir se confronter à son modèle – le chant enregistré d’une épopée – la musique voit sa forme s’interrompre et sa magie se briser. Cela se ressent d’autant plus que les trois autres pièces au programme sont d’une grande exigence formelle – et de ce fait, particulièrement bien choisies pour développer la concentration et la cohésion des jeunes artistes de l’Ensemble ULYSSES, venus de toute l’Europe.
 

© Quentin Chevrier
 
Contenue dans un entre-deux permanent (mezzo forte, continuité sonore et fragments mélodiques, gestes instrumentaux typés et musique invisible, jouée en coulisse ou par un clavier électronique), la Chambered Music de Simon Steen-Andersen montre des musiciens complètement à l’écoute, répondant à la perfection à la direction magnétique de Pierre Bleuse. Mysteries of the Macabre, suite pour trompette et ensemble tirée par György Ligeti (et le chef Elgar Howarth) de son opéra Le Grand Macabre, les confronte à une virtuosité démoniaque ainsi qu’à une approche théâtrale – on n’est pas loin des Aventures et Nouvelles aventures pour ce qui est de la succession des événements et pour l’atmosphère de nonsense à l’écriture millimétrée. Là encore, Pierre Bleuse, tout en énergie décontractée, livre une interprétation de haut vol, à l’unisson des soliloques à la trompette de Clément Saunier. Le trompettiste de l’EIC est l’un des musiciens encadrant du programme ULYSSES. Ses collègues se mêlaient à l’ensemble pour la dernière œuvre, La Chambre aux échos de Michael Jarrell, mouvement vif ininterrompu que le compositeur suisse avait offert à Pierre Boulez à l’occasion de ses 85 ans en 2010.
 

Clément Saunier (trompette) © Quentin Chevrier

Pierre Bleuse en dédie l’interprétation de ce soir à la soprano Jodie Devos, récemment disparue : il devait créer avec elle, en septembre prochain, une version de la Quatrième Symphonie arrangée pour l’Ensemble Intercontemporain par Michael Jarrell. La présence des solistes chevronnés de l’EIC aux côtés des musiciens d’ULYSSES semble leur donner une assurance supplémentaire – voir par exemple comment Gilles Durot et Aurélien Gignoux, postés de part et d’autre, portent le jeu de l’excellente percussionniste Jiayu Luo. Comme chez Steen-Andersen, mais cette fois avec un son plein, affirmé, ils montrent une qualité d’écoute mutuelle remarquable pour un ensemble éphémère. C’est aussi pour Pierre Bleuse un bel accomplissement de sa riche saison parisienne.
 
Jean-Guillaume Lebrun

 

Paris, Centre Pompidou, Grande salle, 22 juin 2024 // www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/WE4KFD6

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