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Pierre Boulez, Bertrand Chamayou et l’Orchestre de Paris - Un rêve éveillé - Compte-rendu
Arnold Schoenberg et Bela Bartok ont toujours appartenu au panthéon de Pierre Boulez. Après avoir donné La Nuit Transfigurée et le Concerto pour orchestre sous la Pyramide du Louvre avec l’Orchestre de Paris, le chef retrouve la phalange le lendemain dans les deux mêmes ouvrages, auxquels s’ajoute le 2ème Concerto pour piano du Hongrois sous les doigts de Bertrand Chamayou.
Dans La Nuit Transfigurée, Boulez parvient avec une totale économie du geste à susciter une tension constante, se refusant à tout épanchement sentimental, portant l’œuvre vers une mélancolie et un expressionnisme où la sensualité le dispute à la magie sonore. Le tempo d’ensemble fluide et ondoyant apparaît d’une lenteur contrôlée. Les cordes parisiennes, chauffées à blanc, parviennent à une densité brûlante et une douleur à vif baignées dans une exaltante atmosphère de serre chaude.
Bertrand Chamayou affronte le redoutable 2ème Concerto de Bartók sans jamais perdre de vue le sens de la construction. Dans l’Allegro, il affirme d’entrée de jeu un élan où l’acrobatie technique et l’affirmation percussive ne nuisent jamais à l’acuité des lignes, à la pulsation vitale et à la clarté du discours. Le second mouvement offre un moment de rêve où le théâtre de timbres, en apesanteur, rejoint la magie nocturne implacable de ces musiques dont Bartók a le secret. L’Allegro molto final permet au soliste de déployer une virtuosité qui fait fi des chausse-trapes et établit un dialogue d’un équilibre souverain avec un orchestre particulièrement attentif. Bertrand Chamayou, après des Années de Pèlerinage de Liszt d’anthologie données récemment au TCE, confirme une nouvelle fois l’exceptionnelle diversité de son talent dans une exécution totalement aboutie.
Avec le Concerto pour orchestre, Boulez reste en terre d’élection. Il ne faut pas attendre de sa part une lecture spécifiquement magyare attachée au folklore imaginaire si cher aux chefs hongrois. La hauteur de l’inspiration qui rejette l’expressionnisme bartokien donne à ce chant du cygne une valeur universelle, rattachant le climat lumineux à la sensualité et à la tendresse impressionniste. La liberté de ton, le naturel du propos contrastent avec la netteté acérée et ascétique du Boulez d’antan. Au même éclat de cristal, au même style chorégraphique (Giuoco delle coppie) s’ajoutent désormais une mélancolie (Elegia), une souplesse féline (Intermezzo), où la complexité des figures qui se choquent et s’entrelacent témoigne de la splendeur d’un monde qui fut. Non plus un exercice de style, mais la vision d’un homme qui, à 86 ans, n’a plus rien à prouver et qui demeure l’un des musiciens les plus fascinants de notre temps.
Michel Le Naour
Paris, Salle Pleyel, 21 décembre 2011
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Photo : Harald Hoffmann - DG
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