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Pierre Jodlowski, Grand Prix Lycéen des Compositeurs 2015 – Un musicien au cœur du monde
La nouvelle a été officiellement annoncée ce mardi 24 mars à 12h30 dans la Grande Salle de la Philharmonie de Paris : Pierre Jodlowski reçoit le Grand Prix Lycéen des Compositeurs 2015, au terme d’une compétition d’un genre particulier organisée sous l’aile de Musique nouvelle en liberté. Concertclassic a pu recueillir en avant-première le témoignage d’un créateur (né en 1971) dont l’ouvrage Time & Money (1), qui côtoyait des pièces de Gilbert Amy (1936), Allain Gaussin (1943), Laurent Martin (1959), François Narboni (1963) et Gabriel Sivak (1979), a emporté l’adhésion d’une majorité de lycéens, comme toujours très investis dans l’aventure du Grand Prix. Mais laissons à Pierre Jodlowski la parole, franche, chaleureuse et passionnée …
Quelle est votre première réaction à l’annonce de ce Grand Prix Lycéen des Compositeurs ?
Pierre JODLOWSKI : J’éprouve beaucoup de bonheur, de fierté également car il s’agit d’un prix très particulier. Il est décerné par des jeunes, des lycéens qui ne connaissent pas forcement le milieu de la musique contemporaine. Ce n’est pas un prix « de spécialistes » et cela me touche. Je suis très heureux aussi de le recevoir dans la mesure où la pièce qui est primée, Time & Money, dépasse le simple contexte musical pour affirmer une dimension politique et proposer une réflexion sur notre société.
Parmi la sélection très diversifiée proposée aux lycéens pour le Grand Prix 2015, de quelle idée de la création musicale, du rôle du compositeur, Time & Money est-il à votre sens le reflet ?
P.J. : Il y a plusieurs dimensions. Time & Money offre d’abord une ouverture sur le monde de l’électronique, sur l’usage d’une orchestration émancipée du cadre classique. Par ailleurs, cette pièce n’est pas de la “musique pour musiciens“ ; elle peut toucher un plus large public parce qu’elle véhicule une réflexion sur le monde. C’est une pièce engagée qui témoigne de l’idée que le compositeur ne doit pas être isolé du reste de la société, mais doit au contraire prendre part à son activité ; être au cœur du monde dans lequel il vit et en témoigner.
La formule « musique active » est souvent utilisée à propos de vos compositions ...
P.J. : C’est une formule que nous avions trouvée, moi et Benjamin de la Fuente, l’un des précédents lauréats du Grand Prix Lycéen (né en 1969, B. de la Fuente a reçu le prix en 2010, ndr). La musique doit être active à plusieurs niveaux. D’abord en ce qui concerne son énergie intérieure ; elle doit être construite par un jeu de tensions, de gestes, d’énergies qui intègre un peu la tension et l’énergie de notre monde. Mais elle agit aussi par le degré de réflexion qu’elle suscite. Je m’oppose vraiment à la notion de musique de divertissement, purement fonctionnelle et commerciale, mais je m’oppose aussi parfois à une musique trop cérébrale, une musique contemporaine trop savante faisant figure de musique « de spécialistes ». La musique doit déclencher des phénomènes émotionnels, ouvrir un champ à l’imaginaire, provoquer des réflexions sur le monde. Quand la musique est terminée, il doit rester beaucoup de choses dans l’esprit afin qu’elle continue d’être active après l’audition.
Pouvez-vous nous présenter Time & Money ?
P.J. : Il s’agit à l’origine d’une commande du GRM (Groupe de recherches musicales). La pièce a été finalisée en 2006 dans le cadre d’une collaboration très riche et précieuse avec Jean Goeffroy, formidable percussionniste avec lequel j’ai été amené à travailler à cette occasion. L’œuvre présente une forte de dimension théâtrale et place l’interprète au cœur d’une sorte de machination. Machination qui prend corps avec les sons que l’on entend, qui évoquent la densité du monde moderne, la vitesse (sons de pièces de monnaie ou évocateurs du monde du cinéma, d’un univers sonore propre à l’audiovisuel). Plus la pièce avance, plus le musicien doit jouer vite, se dépêcher, comme s’il était toujours en retard. C’est l’un des maux de notre société que de vouloir aller plus vite, plus loin, vouloir gagner plus d’argent, etc. – et ce n’est pas du tout la solution pour être heureux ...
Rencontre avec les lycéens © DR
La participation au Grand Prix Lycéen vous a conduit à rencontrer, à dialoguer avec de nombreux jeunes auditeurs. Que retirez-vous principalement de ces échanges ?
P.J. : Ce sont des rencontres très riches car l’on a face à soi de gens jeunes, de grands adolescents qui rentrent dans la vie et se posent des questions fondamentales : que fais-je au monde, quelles sont mes aspirations, comment avancer ? C’est enrichissant pour un compositeur d’avoir toujours dans un coin de son esprit cette question fondamentale : pourquoi suis-je au monde, pourquoi écrire de la musique ? Nous avons bien sûr parlé de musique, de ma pièce ; sa construction, son propos, etc., pour finalement dériver sur des questions plus fondamentales touchant aux enjeux de notre société, au rôle de l’artiste par rapport au monde contemporain.
Les dernières rencontres avec les lycéens se sont déroulées après le triste épisode de Charlie Hebdo et nous nous sommes posé la question de la liberté d’expression en la reliant à situation de la musique contemporaine, musique qui est dans un ghetto en fait et a peu d’occasions de s’exprimer.
Ces rencontres sont fortes car elles permettent à la fois d’interroger les jeunes sur le sens d’un discours artistique aujourd’hui, sa liberté, et d’interroger le compositeur sur les grandes questions que se posent les jeunes aujourd’hui.
Une question est revenue à chaque fois, celle des repères : ce sont des jeunes qui n’ont pas de repères et qui veulent absolument en avoir, autres que ceux dictés par le système économique de notre monde. J’ai été frappé par leur émerveillement face à une parole artistique intense, face à l’humanité et aux convictions de l’artiste. Ils étaient touchés par une personne qui était là pour eux, pour leur donner les clefs de son univers.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 12 mars 2015
Pour écouter Time & Money et les ouvrages des autres compositeurs en lice : site du Grand Prix Lycéen des Compositeurs 2015 / www.gplc.mnl-paris.com/edition/2015
Photo @ Gilles Vidal
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