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Premières, par les jeunes chorégraphes du Ballet de l'Opéra de Lyon – Les surprises de la relève - Compte rendu
Ils ont noms Tadayoshi Kokeguchi, Ashley Wright, Frank Laizet, et Yorkos Loukos, l’incontournable directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon, leur ouvre un nouveau champ en leur donnant leur chance de chorégraphe. Certes Mats Ek, Kylian, Forsythe, sont toujours bien venus et d’actualité dans les programmes de la compagnie, mais l’essentiel de leur message est connu, et si la jeune génération s’en inspire, elle brûle de porter un autre regard sur ce que peut dire la danse. Loukos donc, propose périodiquement cette aventure créatrice, à l’instar de Brigitte Lefèvre à l’Opéra de Paris. Comme il ne s’agit pas de fleurs sauvages poussées n’importe comment, ce qui nuit souvent à la danse contemporaine et la transforme en balbutiements, mais de vrais danseurs, avec un vrai enseignement et une maîtrise réfléchie de leur corps, on a lieu de se passionner pour l’idée.
Essayons une grille de lecture puisqu’il s’agit de décrypter un univers neuf : « to read or not to read, that is the question ». En clair, faut- il lire le programme avant ou après, en dehors des titres et distributions indispensables. L’art, s’il y a lieu, devrait se faire entendre d’emblée, et se comprendre, se creuser, s’éclairer ensuite. Optons pour le programme lu après la vision des trois pièces proposées : si l’on ne comprend rien, pendant le spectacle et après lecture, on a le droit de se dire que le créateur n’a pas les idées claires, tout au moins quand il s’agit de les faire passer dans la personne du spectateur. Tel est le cas de The Elephant has left, d’Ashley Wright. Cette Australienne propose des instantanés à coup de flashes violents, qui nous aveuglent, et montrent un groupe humain à géométrie variable prenant des poses devant un écran. Le tout dans le noir, bien entendu. « Nous avons des yeux, mais nous ne voulons pas voir », dit-elle. Certes, mais les nôtres se sont fermés. Une idée ne fait pas une pensée.
Beaucoup plus prenant, Intangibles (photo) de Tadayoshi Kokeguchi, sur un éventail de pièces musicales signées Ligeti, Bach, Kokeguchi lui-même et quelques autres. Une immobilité contrainte, douloureuse, tord des corps prisonniers d’on ne sait quelle puissance sourde, figés dans une émotion paralysante. Tout se passe aussi dans le noir, mais on est pris par cette gestique forte, presque caricaturale, qui n’est pas sans grandeur. En lisant le programme après coup, on découvre que ce sont des gargouilles, qui ont vu passer les siècles. L’idée est plausible. Et comme Kokeguchi a fait ses classes à Rudra, avant de danser au Scapino ballet et à Lyon, il a une incontestable culture. On le remercie de ce mot magnifique de Rousseau qu’il cite pour appuyer sa vision : « Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas ».
Jusqu’ici on n’a vu qu’un octuor et un quintette de danseurs. Avec Carpe That Rocking Diem, de Franck Laizet, voici l’irruption du mouvement libérateur, du corps en folie, d’une cadence d’enfer et surtout de la lumière, crue, vigoureuse et très habilement utilisée par Jérémy Steunou. Un groupe de danseurs plus nourri, sur fond d’alvéoles où se découpent les contours de quatre musiciens d’un groupe de rock, se déchaîne en une folle sarabande, un sabbat que dirigerait un Baal à la guitare électrique. Cette fois, le programme ne sert à rien, et c’est tant mieux : on est pris, transporté, secoué par cette orgie gestuelle où le déséquilibre s’appuie sur le rythme, portée par des danseurs magnifiques, gros atout dont bénéficient d’ailleurs les trois chorégraphes. On n’en dira pas les noms, et c’est dommage, notamment pour certaine silhouette féminine à cheveux bruns courts, véritable flamme vive, mais il n’y a pas de rôles, juste une bande. Mais là, on sort de quêtes nombrilistes pour retrouver la vraie vie des corps qui dansent. Salutaire, même si l’hystérie n’est pas loin.
Jacqueline Thuilleux
Caluire, Radiant Bellevue, 29 mai 2015
Photo © Jaime Roque de la Cruz
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