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Quels publics pour les Festivals ? - Trois questions à Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS
Le prochain colloque de France Festivals à Montpellier sera marqué par la présentation des conclusions d’une vaste enquête sur les publics des festivals de musique. Son directeur, Emmanuel Négrier, a accepté de répondre à concertclassic et de communiquer en avant-première quelques unes des grandes conclusions qui de dégagent de son travail
Avant d’évoquer les conclusions de votre enquête, pouvez-vous d’abord nous indiquer à partir de quel panel de festivals et dans quelles conditions vous l’avez réalisée ?
Emmanuel Négrier : Nous avons travaillé sur la base d’une enquête auprès des publics sous la forme de distribution de questionnaires à remplir préalablement aux concerts ou aux spectacles de danse. Nous avons enquêté auprès de 49 festivals au total ; tous les genres de musique sont concernés, à l’exception des plus technos, mais il y des festivals de musiques actuelles, de musiques du monde, de jazz, de chanson et des différents répertoires de ce que l’on nomme « musiques savantes », du contemporain au classique, en passant par le sacré, le médiéval, l’ancien, le baroque. A la diversité des programmations s’ajoute celle de la localisation géographique. Nous avons aussi cherché à avoir une liste de festivals étalés dans le temps, certains en avant ou en après-saison, d’autres en pleine saison estivale - où donc la météo exerçait éventuellement un impact dans l’affaire. Enfin, nous avons distribué de la main à la main 25000 questionnaires, nous en avons recueilli 23878 et en avons traité véritablement 23344. Notre équipe était constituée de sept personnes : moi-même, une ingénieur de recherche du CNRS, un docteur en économie et un docteur en sociologie et puis trois étudiants diplômés qui, à cette occasion, réalisaient un stage et ont donc travaillé à nos côtés.
Ca a été une aventure agréable, mais une véritable aventure car, au départ, nous pensions que le questionnaire recevrait un accueil mitigé de la part du public. Nous nous attendions à recueillir entre 10000 et 12000 questionnaires. Mais les festivals ont totalement joué le jeu car ils ont une énorme curiosité à l’égard de leur public et les publics ont également joué le jeu. Peut-être le fait d’offrir un stylo a-t-il contribué à la motivation pour remplir le questionnaire... Il s’agissait d’un questionnaire relativement court, excluant les questions de satisfaction – chose intéressante pour un festival qui fait son enquête, mais dont on ne pouvait pas tirer grand-chose au niveau national. Au total, nous avons été assez étonnés par le succès de l’entreprise.
Quelles sont d’abord les grandes confirmations apportées par votre enquête par rapport à ce que l’on imagine a priori sur les publics des festivals ?
E. N. : Il est clair en premier lieu que l’on est en présence d’un public qui n’est pas vraiment représentatif de la population française. Notre étude se situe dans une population dont on sait très bien qu’elle est plus représentative des catégories intellectuelles supérieures, moins des classes moyennes et surtout des classes populaires. Le second point important est que les festivaliers sont avant tout motivés par l’offre artistique – l’œuvre ou l’artiste programmé dominent largement dans la hiérarchie de leurs critères de choix.
Quelles sont maintenant les principales idées reçues bousculées par les résultats de votre enquête ?
E.N. : Première idée reçue : le festivalier est quelqu’un qui se rend de manière rituelle à son festival, il y revient chaque année de sorte que le public de chaque festival est une sorte de petite famille qui se renouvelle peu. Le résultat de notre étude montre au contraire qu’il y a 39% de nouveau public ; c'est-à-dire bien plus que les taux de renouvellement que l’on connaît des équipements culturels à l’année, des publics des saisons, etc. Il y a donc un renouvellement du public rendu possible par les festivals. Ce renouvellement est différent d’un festival à l’autre ; les festivals de musique savante renouvellent moins que la plupart des festivals de musiques actuelles ou de jazz. Il reste que ce taux ne se situe jamais en deçà de 20%. En 2008 il n’y a pas eu de circonstances particulières qui expliqueraient que d’un seul coup une nouvelle génération de festivaliers de musique savante pointe ; il y a donc là sans doute quelque chose de structurel.
La deuxième grande idée reçue est la fréquentation intensive de la manifestation par le festivalier pour plusieurs dates – « Je vais faire ce festival ; je veux tout voir, je ne dors pas mais je me régale ». Et bien là aussi on découvre que l’on a 39 % de spectateurs d’un seul soir. C’est un peu étonnant et ça démontre que la participation ponctuelle est aussi une caractéristique du festival, qui tend à rapprocher la pratique du festival de celle d’une saison annuelle. En effet, quand on va à un concert dans une saison, c’est parce que l’on aime bien l’artiste mais on ne fait pas pour autant la démarche de s’abonner. Il y aurait bien d’autres points à évoquer encore, mais vous comprendrez que je les réserve pour le colloque de France Festivals.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 29 octobre 2009
Le Colloque de France Festivals
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Photo : Luc JENNEPIN
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