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Raphaël Tambyeff à la basilique Saint-Denis – Se laisser guider par l'Opus 1 de Cavaillé-Coll – Compte-rendu (orgue)

Pour la 4ème saison consécutive, après une longue interruption dont le titulaire des lieux, Pierre Pincemaille, s'est fait l'écho (1), l'association La Voix des Grandes Orgues de Saint-Denis offre un récital mensuel à la belle saison – le froid pouvant régner dans la nef le reste de l'année limite la durée globale de la programmation. C'est ainsi que sous sa direction artistique et en partenariat avec le Centre des Monuments Nationaux, « gestionnaire de la nécropole royale de la basilique cathédrale », sept concerts ont été programmés entre fin mars et début novembre : Frédéric Blanc, Philippe Sauvage, Lucille Dollat et Raphaël Tambyeff pour les concerts passés ; Éric Lebrun, Pierre Grandmaison et Pierre Pincemaille pour les prochains rendez-vous : 3 septembre, 1er octobre et 5 novembre. Le dernier concert, qui permettra de réentendre la Messe à deux orgues de Louis Vierne, fêtera le trentième anniversaire de la nomination de Pierre Pincemaille comme organiste titulaire de la basilique.
 
À peine la 50ème édition du Festival de Saint-Denis refermée, Raphaël Tambyeff (photo) proposait le dimanche 2 juillet un parcours original convenant à merveille à l'instrument de Saint-Denis. Disciple de Noëlie Pierront et d'André Marchal, puis d'Édouard Souberbielle, Gaston Litaize et Rolande Falcinelli, lui-même professeur recherché, il a été pendant quatre décennies organiste et maître de chapelle à Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy ainsi que partenaire régulier des orchestres et du chœur de Radio France.
 
À propos de l'orgue de la basilique, rappelons la mise en garde formulée par Pierre Pincemaille avant son récital dans le cadre du Festival 2016 (2) : « Dites-vous bien qu'à Saint-Denis, toute œuvre réputée facile techniquement devient difficile à jouer ! Voilà pourquoi je n'autorise personne, ni organistes, ni – à plus forte raison – critiques lorsqu'ils n'ont pas joué eux-mêmes au préalable l'instrument, à émettre quelque jugement que ce soit sur les malheureux concertistes (dont moi-même) quand ils interprètent une pièce du répertoire. » L'ergonomie de la console est ici en jeu, mais aussi la singularité – qui en fait l'une de ses richesses – de la palette de ce Cavaillé-Coll première manière, issu de la facture classique et littéralement visionnaire quant aux nouveautés apportées sur le plan des possibilités instrumentales et musicales : il s'agit de dompter la matière tout en sachant se laisser guider – car c'est ici l'orgue qui commande.

Les grandes orgues Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Denis © DR
 
Au programme de Raphaël Tambyeff, aucune œuvre « techniquement facile » ! L'aisance n'en fut que plus probante, d'autant que chaque concertiste ne dispose que d'une soirée de répétition pour amadouer le monstre. Le fameux Dialogue en ut (1696) de Marchand, qui à lui seul occupe son Livre III, permit d'entendre le grand chœur d'anches de Saint-Denis, fantastique batterie faisant revivre avec panache la splendeur de l'esprit classique. Deux pièces rares suivirent : En forme de légende d'Eugène Gigout (1844-1925), n°2 des Deux Pièces de 1900, et l'altière mais enjouée Marche de Fête op. 36 (1908 ?) de Henri Büsser (1872-1973), originellement pour petit orchestre : la matière instrumentale conférée par l'instrument de Saint-Denis fait que l'on n'y perd pas au change !
 
Entre les deux, Raphaël Tambyeff proposa une œuvre que nul n'avait songé confier à l'orgue – elle y sonne pourtant de la manière la plus simplement naturelle et admirable qui soit, comme conçue pour lui : la Pavane op. 50 (1887) de Gabriel Fauré (3). Splendeur des flûtes harmoniques de Cavaillé-Coll, avec un trait plus incisif pour la mélodie via l'adjonction du dessus de flûte à pavillon (flûte conique), légèrement principalisante. Un rêve fin de siècle empreint d'une profonde nostalgie sans jamais renoncer à l'élégance d'une tenue exemplaire, délicieusement scandée par les parties d'accompagnement.
 
Le Choral n°1 en mi majeur (1890) de César Franck concluait, admirable on s'en doute, et d'une vraie continuité qui ne va pas de soi à une console d'un maniement si particulier. Ce fut toutefois lui qui mit le plus en exergue les faiblesses actuelles de l'instrument, dont les anches solistes, telle la Voix humaine avec tremblant, l'un aggravant l'autre, cruelle pour l'interprète et pour l'auditoire pensant à l'interprète – dont la sérénité et la densité de jeu ne furent pourtant nullement affectées par la justesse défaillante des anches.
 
Si la récente canicule, suivie d'une « goutte froide », n'a rien arrangé, l'essentiel demeure que cet Opus 1 est fragilisé. Restauré il y a trente ans déjà, le dernier véritable accord général remontant à près de vingt ans, il a par la force des choses souffert du chantier ininterrompu de la basilique. Car si la façade désormais immaculée resplendit au couchant, la rose du transept sud, démontée de longue date, est toujours en chantier… Bref, la poussière paralyse ses poumons – sans toutefois lui ravir sa magnificence et son impact toujours uniques. La bonne nouvelle est qu'un grand dépoussiérage intérieur de l'orgue vient de commencer, assorti, puisqu'il faudra sans doute ôter les tuyaux pour les libérer de ces scories de pierre qui ont aussi transité par les conduits d'adduction du vent, d'un accord des quelque 4200 tuyaux. Accord qui dans ces conditions devrait, pour les trois concerts suivants, tenir plus aisément.
 
Michel Roubinet

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Saint-Denis, basilique, 2 juillet 2017
 
 
(1) Une interview de Pierre Pincemaille, organiste – Saint-Denis se mérite (6 juin 2016)
www.concertclassic.com/article/une-interview-de-pierre-pincemaille-organiste-saint-denis-se-merite
 
(2) www.concertclassic.com/article/pierre-pincemaille-au-festival-de-saint-denis-tout-simplement-royal-compte-rendu
 
 (3) Sur le site de l'International Music Score Library Project, on trouve pas moins de 43 arrangements de la Pavane de Fauré, dont deux signés Büsser (violon, violoncelle et piano ; flûte ou violon et piano). Une version pour orgue de 2016 a fait suite à celle de Raphaël Tambyeff : librement accessible, comme toutes les publications des Éditions Outremontaises (Montréal), elle est due à Pierre Gouin :
petrucci.mus.auth.gr/imglnks/usimg/f/fc/IMSLP421703-PMLP23798-Faure_Op.50_Pavane_orgue.pdf
 
 
Site Internet :
 
Concerts aux grandes orgues Cavaillé-Coll de Saint-Denis
www.saint-denis-basilique.fr/Actualites/Concerts-aux-grandes-orgues

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