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Rencontre avec Simon Cnockaert, directeur de l’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot – « Cette maison est une pépite »
Efficace et discrète : la passation de pouvoirs entre Françoise Noël-Marquis et Simon Cnockaert (photo) à la fin de l’année passée aura été à l’image de celle qui, arrivée en janvier 2013 à la direction de l’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot, a su donner une nouvelle jeunesse à une institution longtemps assoupie. Simon Cnockaert ne manque d’ailleurs pas de saluer comme il se doit le bilan de celle qui l’a précédé. Elle nous a, pour sa part, confié avoir quitté son poste sereine et confiante en l’avenir de l’établissement créé par Alfred Cortot et Auguste Mangeot en 1919.
Un homme d’expérience
À Sciences Po et des études de droit, Simon Cnockaert a ajouté un cursus complet au Conservatoire de Strasbourg, établissement qu’il avait choisi pour pouvoir étudier l’orgue auprès d’André Stricker (1931-2003), grand spécialiste de Bach. Très attiré par l’administration de la musique, il a débuté son parcours professionnel en 1996 au Centre de Musique Baroque de Versailles, où il était délégué artistique et travaillait en étroite collaboration avec Vincent Berthier de Lioncourt – « qui a beaucoup compté pour moi et est resté un ami proche », confie le nouveau directeur de l’ENM. Cinq ans plus tard, on le retrouve à l’Institut de France, à l’Académie des beaux arts plus précisément, il s’y occupe entres autres des prix musicaux et, en particulier, du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral. 2005 marque un nouveau tournant pour Simon Cnockaert, qui succède avec enthousiasme à Philippe Lefevbre à la direction de Musique Sacrée à Notre Dame de Paris. Nouvelle étape sept ans plus tard : en ce même lieu, il prend la direction des services de la Cathédrale jusqu’en 2017. Durant les trois années qui suivent, il est secrétaire général du Petit Palais où, en parfaite entente avec Christophe Leribault, directeur de l’établissement et grand mélomane, il contribue à développer – aidé par des ressources en mécénat qu’il parvient à faire grandir – les activités musicales dans l’auditorium, mais aussi à introduire la musique dans certaines expositions, comme ce fut le cas avec « Paris Romantique » en 2019.
Le grand escalier de l'Ecole Normale de Musique © ENM
Réactivité et agilité face à la crise
Le voilà donc désormais tenant les rênes de l’établissement du 114bis boulevard Malesherbes, heureux d’être à la tête d’« une maison formidable où l’on se sent tout petit car l’on a un siècle de tradition sur les épaules». Le devoir d’assurer la continuité de l’ENM ne s’oppose aucunement dans l’esprit de Simon Cnockaert à la nécessaire adaptation à l’avenir dans ce qu’il décrit comme « une époque charnière. » « Nous sommes une maison solide, qui a été très bien gérée par Françoise Noël-Marquis, souligne-t-il. Nous disposons d’un cadre extraordinaire, d’un bel esprit des lieux, aucunement poussiéreux. Les conséquences de la crise sanitaire se sont, comme partout, fait sentir : de 75% d’élèves étrangers nous sommes passés à 70% cette année, je m’attendais à bien pire ; d'une moyenne 650 élèves en période de croisière nous sommes à 550 cette année : la baisse est conséquente, mais pas catastrophique. La maison est très inventive et a su faire preuve de réactivité et d’agilité face à la crise. Pendant le premier confinement 80% des élèves étaient suivis et 80% des cours étaient assurés, ce d’abord avec les moyens du bord (Zoom, etc.) puis via Moodle, plateforme d’enseignement et d’apprentissage en ligne très utilisée dans les universités, que nous avons améliorée et adaptée à nos besoins grâce à notre mécène Altran. Elle demeure très précieuse actuellement, face à une contrainte sanitaire forte, pour tout ce qui est enseignement de groupe. Les cours individuels ont repris, par deux pour la musique de chambre et nous avons la chance de disposer de l’espace de la salle Cortot pour les cours de chant. »
Une réflexion sur de nouvelles formes d’enseignement
« Nous sommes armés en cas de nouveaux problèmes, constate Simon Cnockaert, mais il est vrai aussi que les évolutions techniques que nous venons de connaître du fait de la crise ouvrent des horizons sur des formes d’enseignement à distance sur lesquelles, bien qu’il soit encore trop tôt pour en parler, je ne vous cache pas que nous travaillons. La dimension internationale de l’Ecole Normale (nos élèves étrangers sont à 75% asiatiques), ses nombreux partenariats avec des structures à l’étranger ne peuvent qu’inciter à mener une réflexion en ce sens. Nous avons beaucoup de sollicitations mais sommes encore un peu sur la réserve car très attentifs à la qualité. »
« L’Ecole Normale est une vieille dame de 101 ans pleine de dynamisme ! La salle Cortot a été parmi les toutes premières à travailler avec RecitHall, solution qui s’est avérée précieuse pour les concerts de midi des étudiants, qui ont pu se poursuivre en dépit de la fermeture au public, mais aussi pour le Prix Cortot – non attribué cette année, l’unanimité du jury n’ayant pas été obtenue – et pour le Concert des Lauréats. On remarque aussi que pas mal d’organisateurs ont opté pour le maintien des concerts programmés et leur retransmission en streaming. »
L'Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot © DR
Cultiver la spécificité de l’Ecole
« Continuité et inventivité » : la formule résume la perspective dans laquelle Simon Cnockaert envisage le futur. « Nous avons le devoir d’être très attentifs aux évolutions de l’enseignement de la musique dans le monde aujourd’hui. De remarquable pôles d’enseignement se développent, en Asie en particulier. Il nous faut aussi être plus proactifs dans la communication et faire beaucoup plus savoir ce que nous proposons en tant qu’école privée très spécifique. Je crois beaucoup à la spécificité de l’Ecole. Spécifique et « à côté ». La France dispose d’un système d’enseignement fabuleux avec les deux CNSMD, les pôles supérieurs, etc. ; nous sommes à côté, nous faisons un travail pas forcément différent mais avec un personnalité différente, grâce à la qualité de nos professeurs, des personnalités que ne souhaitent pas être dans un système trop contraignant et savourent la grande liberté pédagogique dont ils disposent. Je crois aussi à la complémentarité avec le reste de l’enseignement supérieur de la musique, à l’établissement de ponts qui nous permettraient faire valoir encore plus le complément que, justement, nous sommes susceptibles d’apporter. »
Du « cousu main »
À la spécificité de certains de ses enseignements, tels que le Certificat de Musique Française, mais aussi (depuis 2018) un Master Musique-Interprétation-Patrimoine (1) en partenariat avec Paris-Saclay, l’Ecole Normale ajoute ce que son directeur qualifie de « cousu main » : « le suivi individuel des élèves est extrêmement poussé ; en exagérant un peu on pourrait dire qu’il y a presque autant de cursus que d’élèves ! Suivi pendant les études et après celles-ci : nous attachons une grande importance à tout ce qui touche à l’insertion professionnelle des étudiants. Outre une dotation financière le Prix Cortot est assorti d’un CD entièrement financé (chez Passavant), d’un passage systématique sur France Musique et d’engagements divers (Festival de Nohant, Wigmore Hall, Nuits du Piano, etc.). Quant aux diplômes de concertiste, nous travaillons avec l’agence Phares (dir. Hélène Thiébault) qui se charge de trouver un certains nombre de récitals pour chacun des lauréats. Nous organisons régulièrement des auditions professionnelles pour faire découvrir les jeunes musiciens et chanteurs aux programmateurs, aux agents, etc. Chaque mois de septembre, les Rencontres professionnelles organisées avec la Lettre du Musicien participent aussi de cette démarche. J’aimerais accentuer le suivi des grands élèves et me servir de la salle Cortot comme d’une vitrine de l’Ecole avec une vraie saison. »
La salle Munch © ENM
Développer le mécénat
Parmi les objectifs de Simon Cnockaert, le développement du mécénat, essentiel pour une structure entièrement privée telle que l’Ecole Normale de Musique, constitue une priorité. Un mécénat déjà bien présent dans le fonctionnement de l’établissement : « la moitié du mécénat que nous récoltons est transformée en bourses d’étude ; 25% de nos élèves, entièrement boursiers, ne paient aucun frais de scolarité et je souhaite faire progresser le mécénat pour accueillir encore plus de boursiers, pour mieux communiquer et favoriser l’insertion professionnelle de nos jeunes musiciens. Cette maison est une pépite ; les mécènes font du parrainage et ont un lien direct pendant plusieurs années avec les élèves. »
« Le mécénat nous a aussi permis de mettre en place le programme « Vocations » destiné à des musiciens plus que prometteurs entre 11 et 18 ans. Nous prenons tout en charge ; ces jeunes bénéficient d’un programme adapté, avec plus de cours que les autres, une prise en compte des besoins individuels de chacun. Reste que nous ne sommes pas une école pour enfants surdoués ; ce programme ne concerne que quatre ou cinq élèves par an.
Liberté et souplesse de fonctionnement
Fidèle à l’esprit de Cortot – qui, on l'oublie parfois, a d’abord et avant tout fondé l’Ecole Normale de Musique pour former les étudiants étrangers à l’interprétation de la musique française et, partant, favoriser sa diffusion dans le monde – le nouveau directeur de l’ENM est bien résolu à cultiver la « spécificité française » de l’Ecole en s’appuyant sur les professeurs et le prestige qui les entoure (la liste du corps enseignant s’avère assez impressionnante quand on la parcourt (2) ), en redéfinissant le Certificat de Musique Française, en mettant plus en lumière encore l'Académie de Musique Française pour Piano (lancée en 2017 et dirigée par Jean-Philippe Collard), en réfléchissant aussi à des partenariats en France comme à l’étranger.
« Je ne suis pas inquiet sur l’affirmation de notre singularité et de notre complémentarité ; nous avons beaucoup de choses à apporter soit parallèlement au CNSM, soit après celui-ci. L’Ecole est une TPE où, pour la partie administrative, une petite dizaine de personnes s’occupent de 600 à 700 élèves. Moi qui ai eu un parcours dans les milieux publics et para-publics, je m’émerveille de la liberté et de la souplesse de fonctionnement dont on dispose ici. »
Profitant de ces conditions, Simon Cnockaert vient d’annoncer la création de deux nouvelles classes, l’une confiée à une éminente cheffe de chant, Irène Kudela, l’autre à un grand spécialiste du piano français, Pascal Rogé. On sait qu’il travaille en ce moment à l’ouverture d'autres classes.
Pour l’heure, les mélomanes à l’affût de talents en devenir peuvent découvrir, sur la plateforme RecitHall, les divers candidats aux Prix Cortot 2021, le Concert des Lauréats/ Diplôme Supérieur de Concertiste 2021, mais aussi les jeunes pousses du programme « Vocations » (3).
Alain Cochard
(1) www.uvsq.fr/master-2-musicologie-parcours-musique-interpretation-patrimoine
(2) http://www.ecolenormalecortot.com/lesenseignants/page/2/
3) - Prix Cortot : www.recithall.com/events/serie/360
- Concert des Lauréats : www.recithall.com/events/365
- Concert « Vocations » : www.recithall.com/events/371
Photo © DR
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