Journal
Rentrée du Ballet de l’Opéra de Lyon – Agitations virtuoses – Compte-rendu
Le grand public connaît encore mal Julie Guibert, directrice du Ballet de l’Opéra de Lyon, nommée à la succession de Yorkos Loukos, lequel occupa le poste pendant plusieurs décennies, et le quitta au terme d’un procès. La nouvelle venue est en effet arrivée en février 2020, date funeste puisque la crise du Covid 19 ne lui a guère permis de faire ses preuves. On sait surtout que le chausson à pointe n’est pas sa tasse de thé, qu’elle a autrefois dansé chez la tristounette Maryse Delente, au Ballet du Nord, avant d’intégrer la prestigieuse troupe suédoise de Mats Ek, le Ballet Cullberg, ce qui lui a donné les meilleures bases possibles dans la danse contemporaine et fait rencontrer les plus fortes personnalités du moment. Un beau carnet d’adresses, qui lui permet d’inscrire à ce premier programme de rentrée Forsythe, De Keersmaeker, Mats Ek, ce qui d’ailleurs ne change rien aux programmations antérieures, lesquelles faisaient déjà une large place à ces trois pointures. Les grandes nouveautés sont sans doute à venir, quand le ballet aura retrouvé son rythme.
Rien de vraiment changé donc sous le soleil de la capitale des Gaules, devenue un peu aussi la capitale de la danse, grâce à sa biennale, et une troupe en bon état, dont une quinzaine d’éléments étaient ici en piste sur une trentaine de danseurs. De Forsythe, maître en désarticulation et mise en danger de l’équilibre, on a retrouvé le talent ludique, mais sans âme, qui interroge les possibilités du corps, lequel devient juste un robot. Aucune émotion donc sans ce NNNN (photo), titre vain et prétentieux qu’on oubliera vite, ou quatre danseurs entremêlent leurs bras et les confrontent en une multitude de poses et de secousses qui s’emboîtent et se déboîtent. Aucune émotion, bien sûr, cela serait démodé, mais juste un jeu, qui peut amuser, ou non…Et permet au moins aux interprètes de faire une démonstration brillantissime de la mobilité de leur anatomie.
La scène se corse lorsque Mats Ek l’occupe : lui a le sens du drame, de la mise en question des sentiments et une forme très spéciale d’affrontements psychologiques : son Solo for two, créé en 1986 pour la télévision suédoise sous le nom de Smoke, et ensuite adapté à la scène, montre un couple (son sujet éternel) qui étouffe dans ses rapports tout en ne pouvant se séparer. Décor très dessiné, comme il se doit chez le Suédois, prison domestique et bleus à l’âme, et surtout gestique fabuleuse, qui continue de surprendre et de fasciner : Tyler Galster et Kristina Bentz y sont d’une force expressive, d’une beauté linéaire impressionnantes.
Déception, enfin, avec la très connue Die Grosse Fuge concoctée par Anne Teresa De Keersmaker et donnée notamment à l’Opéra de Paris. La pièce n’est pas d’hier, (1992) mais elle semble d’avant-hier. Certes la musique de Beethoven est plus que complexe, mais la chorégraphie, elle, est rude, brutale, conçue comme une structure animée, et lance en explosions des danseurs qui incarnent les motifs, s’entrecroisent, se roulent à terre (comme d’habitude). Au cœur, la même Kristina Bentz qui nous a tant renversés dans Mats Ek. Elle fait ici office de surveillante générale, au milieu d’un petit groupe très agité, aux bonds superbes, mais sans signification. Bref, on s’ennuie et on se demande ce que vient faire le mot danse dans cette histoire… Reste la qualité des danseurs, qui se plient aux volontés, souvent difficiles, des chorégraphes et ne se rendent pas forcément compte que leur talent reste lettre morte.
On attend la suite, car le Ballet de Lyon reste l’une de nos valeurs sûres, sur une carte chorégraphique qui s’amincit. Heureusement, merci Preljocaj, merci Malandain, merci Maillot, merci Harriague, merci Belarbi.
Jacqueline Thuilleux
Maison de la danse de Lyon, 17 septembre 2021. Prochain spectacle David Coria/ David Lagos, du 5 au 8 octobre 2021 // www.maisondeladanse.com
Photo : NNNN (chor. W. Forsythe) © Agathe Poupeney
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