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Résidence Thomas Adès à la Fondation Louis Vuitton – Les choix d’un maître – Compte-rendu
Musicien complet : la formule est faible pour décrire Thomas Adès ; le compositeur, parmi les plus importants de notre temps, se doublant en effet d’un pianiste et d’un chef d’orchestre de premier ordre. Autant de qualités qui se sont illustrées au cours d’une résidence de l’artiste britannique à la Fondation Louis Vuitton, dans des programmes intelligemment conçus par ses soins où des pièces de sa main se mêlaient à des réalisations de devanciers plus ou moins lointains ou de contemporains. Des choix qu’il avoue avoir effectués avec « un regard plus tourné vers l’est que vers l’ouest ».
Thomas Adès et Katalin Kàrolyi © Fondation Louis Vuitton - Gaël Cornier
Caractérisation exemplaire
Après un premier concert et une masterclass axés sur la musique de chambre, le public s’est vu proposer un programme à dominante vocale. C’est toutefois par un quatuor à cordes de Haydn (le sol mineur op. 20 n° 3/Hob. III. 33) que la soirée s’ouvre. Une formation anglaise, le Ruisi Quartet, est à l’œuvre. Oublions vite cette lecture aux demi-teintes soignées certes, mais très fade, sans relief ni élan.
On n’en savoure que plus intensément les mélodies de Bartók qui suivent, interprétées par Katalin Kàrolyi et Thomas Adès au piano (une sélection réunissant les nos 1, 2, 3 & 5 des Huit Chants populaires hongrois Sz.64, le n°9 des Chansons folkloriques hongroises Sz.33 et les nos 3, 4 et 5 des cinq Scènes de village Sz.79). Dans son jardin, la mezzo hongroise livre une interprétation exemplaire de caractérisation, servie par un accompagnement pianistique dont l’acuité (on y sent en permanence un regard de compositeur) l’aide à saisir le climat, la couleur de chaque morceau, aussi court soit-il.
A Different Fantasie (2021) pour quatuor à cordes du Britannique Oliver Leith (né en 1990) referme la première partie sous les archets des Ruisi. Une brève pièce, sur un thème de Mathew Locke, qui, par la déformation du motif de départ, procure la sensation d’être happée dans les profondeurs d’un rêve.
Exactitude poétique
On retrouve avec bonheur Katalin Kàrolyi pour S.K. Remembrance Noise de Kurtág en début de seconde partie. Pour voix et violon, le recueil consiste en sept mélodies, aphorismes plus exactement. Brièveté, nudité de l’accompagnent du seul violon (Alessandro Ruisi est à l’archet) : daté de 1975, cet ouvrage singulier s’inscrit ici dans le prolongement des pièces très courtes qui figuraient à la fin du bouquet bartókien de la première partie. La chanteuse y témoigne d’un art à la fois précis et libre, d’une exactitude poétique fascinante.
Katalin Kàrolyi, le Ruisi Quartet, Graham Mitchell & Thomas Adès © Fondation Louis Vuitton - Gaël Cornier
Un chef-d’œuvre en première française
La conclusion revient à la musique de Thomas Adès avec Növények « Plantes », ensemble de sept mélodies pour voix et sextuor avec piano (ici formé du Ruisi Quartet, Graham Mitchell, contrebasse, et Thomas Adès). Inspirés par la botanique, les vers des poèmes de d’Attila József, Miklos Radnóti, Sándo Weöres et Ottó Orbán sont des métaphores de la condition humaine et la musique d’Adès un pur chef -d’œuvre (en première française). Très variée dans la manière de porter la voix, de l’enlacer souvent, l’écriture saisit par sa puissance visuelle. Et une fois de plus, par son amour des mots, sa palette de couleurs très riche, la merveilleuse Katalin Kàrolyi vise juste et envoûte. A n’en pas douter l’un des moment les plus forts de la résidence du compositeur.
Thomas Adès et les membres de la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen © Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Marti
Intelligence, esprit, humanité
Quatre jours plus tard, retour à l’auditorium pour un programme orchestral avec l’excellente Deutsche Kammerphilharmonie Bremen. La Symphonie n° 64 en la majeur « Tempora mutantur » de Haydn ouvre la soirée et la baguette de Thomas Adès sonde cette partition rarement donnée avec une intelligence du phrasé, un esprit et une humanité (ce Largo, tendre et secret ...) admirables. On n’y résiste pas plus qu’au foisonnement chaloupé de Shanty – Over the Sea de T. Adès qui lui fait suite (en création française).
Grand admirateur de Janáček, le compositeur britannique prend ensuite place au clavier pour le Concertino pour piano, tout imprégné de l’amour de l’auteur de la Petite renarde rusée pour le monde animal. Une interprétation dont la vitalité, le mordant, l’alacrité de l’échange avec les instrumentistes font regretter la rareté de cette partition, tellement originale, au concert.
Changement complet d’atmosphère après la pause avec Lieux retrouvés pour violoncelle et orchestre chambre (2016) de Thomas Adès dont l’excellent Nicolas Alstaedt tient la partie soliste. D’abord inspiré par la nature et les éléments, l’ouvrage offre une belle méditation poétique et panthéiste dans ses trois premiers volets (Les eaux, La montagne, Les champs), servis par un archet d’une intonation parfaite et d’un engagement total dans le dialogue avec l’orchestre, avant de d’achever dans le grimaçant et frénétique Cancan macabre de la ville.
Nicolas Alstaedt, Thomas Adès et la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen © Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq
Hommage à la France
Sachons gré enfin à un artiste venu d’outre-manche d’avoir choisi de terminer sa résidence par un hommage à la France, et par un compositeur et une partition que nos orchestres hexagonaux ignorent hélas plus que copieusement : le Divertissement de Jacques Ibert. D’une baguette preste et heureuse, Thomas Adès fait pétiller l’humour et l’espièglerie de la musique avec un plaisir contagieux. Et les instrumentistes allemands ne se font pas prier pour le suivre !
Un moment savoureux, à retrouver, comme le reste des concerts de la résidence, sur FLV Play et medici.tv.
Prochains rendez-vous musicaux à la Fondation Louis Vuitton les 4 et 5 décembre pour des masterclasses publiques de Vladimir Spivakov et le 19 décembre pour un récital de Rémi Geniet, en attendant le récital "Piano Nouvelle Génération" de Sophie Shuya Liu le 16 janvier.
Alain Cochard
> Les prochains concerts de musique contemporaine en Ile-de-France <
Paris, Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, 12 et 16 novembre 2024
Photo © Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq
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